Renouvelables : le moratoire de la honte

par Gilles Bridier |  publié le 25/06/2025

À rebours des défis climatiques et des enjeux économiques, la gauche et le centre ont laissé la droite et l’extrême droite adopter un moratoire sur l’éolien et le solaire, heureusement rejeté dans un second vote. Pour l’instant…

Montage par une grue d'une éolienne à Cossé-le-Vivien, en Mayenne. (Photo René SAGET)

La représentation nationale a frôlé le ridicule. Et la disqualification politique. Heureusement, après que LR et le RN ont fait adopter en séance le 19 juin un amendement instaurant un moratoire pour tout nouveau projet d’éolien et de photovoltaïque, l’Assemblée a finalement repoussé le texte le 24 lors du vote solennel. Les positions les plus rétrogrades au nom d’une pseudo pollution visuelle ont finalement été repoussées.

Que s’est-il passé en cinq jours et quelle était la portée de cet amendement ? Simplement, lors de l’adoption en séance, la gauche et le bloc central avaient déserté les bancs de l’hémicycle, ce qui avait permis aux groupes réactionnaires de l’Assemblée de remporter une victoire contre la politique visant la neutralité carbone en 2050. « Cela n’a aucun sens », « c’est irresponsable », se sont insurgés la ministre de la Transition écologique Agnès Pannier-Runacher et son collègue de l’Industrie Marc Ferracci. Certes, mais où étaient la gauche et le centre, qui par leur absence sont tombés dans le piège tendu par la droite, soutenue par l’extrême droite et qui multiplie les coups de boutoir contre la politique énergétique du gouvernement… « Où sont vos députés qui auraient pu faire barrage », a rétorqué ironiquement Jean-Philippe Tanguy, député du RN ?

Ce projet de moratoire est une aberration en totale contradiction avec le projet de réduction des gaz à effet de serre au moment où les conséquences du réchauffement climatique impactent de plus en plus la vie quotidienne de tout un chacun. Rappelons quand même que, sur près de la moitié du territoire métropolitain, plus de 10 millions de maisons individuelles sont menacées par des mouvements de terrain provenant de l’alternance entre les sécheresses et les fortes pluies, que près de 12 millions de personnes vivent sur des territoires exposés à des risques importants d’inondation, que la multiplication catastrophes naturelles remet en question le modèle économique des compagnies d’assurance dans la couverture des risques…

La lutte contre l’effet de serre n’est pas une posture, mais une ardente obligation. Certes, la droite dure et l’extrême droite voulaient avec ce moratoire donner la priorité au nucléaire. Comme si, face à la pression exercée par le changement climatique, le manichéisme avait encore sa place. Il ne s’agit pas de remettre en question les projets de développement du nucléaire, mais l’expérience montre que, suite aux déboires d’EDF avec les problèmes d’oxydation ou à Flamanville, il serait irresponsable de s’en remettre à un seul mode de production d’énergie. D’autant que les futures centrales annoncées par Emmanuel Macron ne pourront commencer à produire des électrons qu’à partir de 2038… dans le meilleur des cas, car EDF n’a toujours pas remis ses hypothèses financières pour leur réalisation. Autant dire que les projets ont déjà pris du retard dans un secteur où la France a perdu son excellence d’antan. Encore quinze ans au moins, avec un parc de réacteurs vieillissant. Pourquoi, d’ici là, se passer de l’appoint des renouvelables ?

Car, dans l’intervalle, la consommation d’électricité doit exploser. A cause de l’électrification du parc automobile, de la multiplication sur le territoire des data centers énergivores, du passage à l’électrique de maints procédés industriels afin de faire baisser le poids des hydrocarbures qui représentent toujours 60% du mix énergétique français… et devraient passer à 30% en 2035. Impossible, sans les renouvelables ! Sans compter que, en période de sécheresse, on risque d’assister à des conflits d’usage sur l’eau entre le nécessaire refroidissement des centrales et les besoins de l’agriculture…

C’est un moratoire de la honte. L’idée même qu’il ait pu être envisagé est de nature à dissuader les investisseurs à s’engager dans les énergies renouvelables. Dommage, alors que disposer du nucléaire et des renouvelables conjointement pour se compléter ou se relayer, c’est aussi un gage de plus grande indépendance énergétique, et de précaution tant pour répondre au défi climatique qu’aux impératifs économiques. Engager une guerre de religion énergétique juste par tactique politicienne, est-ce digne d’une démocratie qui se revendique responsable ? On aimerait que la gauche et le centre enraye la dérive droitière à laquelle on assiste, aussi bien dans l’énergie que dans d’autres domaines. Encore faudrait-il que leurs bancs à l’Assemblée ne restent pas vides. Heureusement, le vote solennel du texte a permis de sortir de la caricature et de revenir à une vision plus conforme de l’intérêt du pays. On en reparlera en juillet lorsque le texte aura repris le chemin du Sénat pour une deuxième lecture.

Gilles Bridier