Réponse à Chikirou et Mélenchon
Deux responsables de La France insoumise, non des moindres – Sophia Chikirou et Jean-Luc Mélenchon – tentent de m’attribuer une opinion sur le « génocide » à Gaza qui n’est pas la mienne. Mise au point.

Dans un tweet ironique et vicieux, les deux leaders de LFI affirment que je me rapproche – sans le dire – de leur position sur l’intervention israélienne à Gaza. Il n’en est rien, évidemment. Ils font seulement semblant de croire que toute critique envers le gouvernement Netanyahou revient à épouser leur thèse, laquelle est fausse et outrancière.
Voici d’abord le chapo de mon édito (dans lequel le mot génocide ne figure pas, et pour cause), puis celui de Mélenchon (celui de Chikirou est de la même eau). J’écrivais ceci : « Israël a gagné sans doute possible son affrontement avec le Hamas. La poursuite de la guerre ressemble de plus en plus à une opération de vengeance et d’extension territoriale illégale et dangereuse. »
Mélenchon a répondu : « voilà un propos clairement antisémite faisant sans doute l’apologie du terrorisme en sous-entendant (sans le dire heureusement pour notre réputation) qu’une guerre sans objet (puisque gagnée selon Joffrin) continuant, cela pourrait s’appeler autrement. Par exemple génocide. Dans un an et deux mois de plus, Joffrin se posera la question. Les morts salueront son courage intellectuel peut-être. »
Le style de la réponse étant un peu lourd, clarifions : Mélenchon est accusé d’antisémitisme et de soutien indirect aux terroristes du Hamas pour ses positions sur Gaza ; postulant que je sous-entends, comme lui, qu’un génocide est en cours, il ironise en m’appliquant les mêmes accusations. Un seul problème dans ce raisonnement alambiqué : je ne sous-entends rien de tel. Au contraire – je l’ai plusieurs fois écrit – le mot « génocide » appliqué aux opérations israélienne est injustement polémique et ne correspond pas à la réalité.
Dans son acception courante, il qualifie trois massacres de masse bien connus dans l’histoire : le génocide des Juifs par les nazis ; celui des Arméniens en Turquie ; celui des Tutsis au Rwanda. Aussi critiquables qu’ils soient, les agissements de l’armée israélienne à Gaza ne peuvent leur être comparés, ni par leur ampleur, ni par leur intention.
Certes, sur le plan juridique, les instances internationales ont étendu la notion en lui donnant la définition suivante : « le génocide est un crime consistant en l’élimination concrète intentionnelle, totale ou partielle, d’un groupe national, ethnique ou encore religieux (…) Le génocide peut être perpétré par divers moyens, le plus répandu et le plus évident étant le meurtre collectif. »
Mais peut-on l’appliquer à la guerre de Gaza ? Je ne le crois pas. L’ambiguïté de la définition tient en fait à ce membre de phrase : « l’élimination concrète intentionnelle, totale ou partielle, d’un groupe national, ethnique ou encore religieux ». Or il n’est pas vrai que l’action de l’armée israélienne vise à « l’élimination intentionnelle d’un groupe national ». Certaines déclarations des ministres d’extrême-droite du gouvernement Netanyahou pourraient accréditer cette idée, mais non la stratégie globale d’Israël dans cette guerre, qui vise à détruire le Hamas, quitte à infliger des pertes civiles nombreuses à la population de Gaza. Ce qui est déjà un problème, sans qu’il soit besoin de recourir au mot de « génocide ».
Quant au mot « partiel », il suppose, dans l’esprit du texte, que la partie de la population « éliminée » soit nettement plus importante. Rappel macabre mais nécessaire : avec environ 40 000 morts sur 2 millions d’habitants, on aboutit à un pourcentage de 2% de la population totale. Le chiffre est déjà énorme, mais il ne permet pas, à mon sens, de parler de « génocide ». Ou alors les opérations de bombardements meurtriers menées ailleurs (en Irak, en Syrie, ou bien pendant la Seconde Guerre Mondiale) seraient également « génocidaires ». Ce que personne ne prétend.
Rappelons ce que disait Mélenchon à propos des bombardements russes sur la ville d’Alep : « Vous connaissez une guerre où on bombarde et où les civils ne reçoivent pas de bombes ? Cela n’existe pas. » Interrogé sur l’action russe en Syrie, il répond : « Il va régler le problème (…) C’est-à-dire éliminer Daesh ». Autrement dit le leader de LFI usait en faveur de Poutine du même argument qu’invoque aujourd’hui le gouvernement israélien : les pertes civiles à Gaza découlent de sa volonté d’éliminer le Hamas et non d’une intention « génocidaire ».
En fait, le vrai débat est celui des crimes de guerre que peut constituer le bombardement continu d’une population civile et que Mélenchon brouille par ses outrances. Le recours au mot « génocide » cache une intention politique ; c’est là que la question de l’antisémitisme revient en force. Comme je l’ai écrit à plusieurs reprises, il s’agit « imputer aux victimes du génocide nazi la responsabilité d’un autre génocide ». On sait que le génocide des Juifs fut à l’époque l’une des principales justifications de la création de l’État d’Israël. Accuser ce même État de génocide (je me cite encore…) « est une opération rhétorique de déligitimation globale d’Israël », qui, à mon sens, a des connotations clairement antisémites. Tel était mon seul sous-entendu…