Retailleau disjoncte

par Gilles Bridier |  publié le 04/07/2025

Tout à sa cuisine électorale, le ministre de l’Intérieur oublie sa fonction pour partir à la pêche aux voix d’extrême droite dans la perspective de 2027.

Des éoliennes installées au-dessus de panneaux photovoltaïques fonctionnent sur la base de démonstration industrielle de la vasière de la ville de Yancheng, province du Jiangsu, en Chine, le 28 mai 2025. (Photo CFOTO / NurPhoto via AFP)

Plus candidat que ministre, Bruno Retailleau ! Et en dehors des clous sur un sujet qui ne lui sert qu’à entretenir une polémique en manœuvrant à droite toute. En signant une tribune avec ses deux coprésidents, le président de LR a clairement remisé son costume de ministre pour endosser celui de candidat à la prochaine élection présidentielle. Et s’en aller chasser sur les terres du RN en s’attaquant aux subventions à l’éolien et au photovoltaïque, dans le droit fil du moratoire que la droite et l’extrême droite avaient tenté de faire adopter à l’Assemblée nationale le 24 juin.

La ministre de la Transition écologique Agnès Pannier Runacher l’a sitôt renvoyé dans ses buts, le jugeant « irresponsable » et l’accusant de « populisme », lui qui, en tant que ministre de l’Intérieur, n’est pas légitime à contester les décisions du gouvernement sur un dossier hors de ses compétences. Emmanuel Macron l’a ensuite recadré, appelant les ministres à s’en tenir à leur mission. Gageons que le président de LR avec ses fusibles en surchauffe ne renoncera pas pour autant à aller à la pêche aux voix réactionnaires.

Pourtant, les politiques énergétiques, qui impliquent des choix de service public et de sécurité d’approvisionnement déterminants pour plusieurs décennies, méritent mieux que de basses combinaisons partisanes et électoralistes. Les futures centrales dont le pays devra se doter ne seront pas opérationnelles, dans le meilleur des cas, avant 2038, et même plus tard si l’on se réfère à l’expérience de Flamanville, c’est-à-dire dans une quinzaine d’années alors que plus de la moitié des 56 réacteurs en service sur le territoire ont déjà quarante ans ou plus. En ne misant pas tout sur le nucléaire, la France met en oeuvre une politique de complémentarité et de précaution en cas d’effondrement de l’atome. Or, des évènements imprévus peuvent toujours arriver, comme lorsque le tiers des réacteurs durent être mis à l’arrêt en 2022 à cause de problèmes de corrosion.

On pourrait multiplier les exemples qui démontrent que la complémentarité du nucléaire et des renouvelables (28% de la production) est un atout pour la France, ne serait-ce que pour éviter les conflits d’usage entre le nucléaire et l’agriculture en période de sécheresse quand le niveau des cours d’eau baisse. Ou parer à l’impossibilité de refroidir les réacteurs dans les périodes de canicule (comme cela vient de se produire à la centrale de Golfech) surtout dans un contexte où la baisse du manteau neigeux peut aggraver à terme la baisse du débit des cours d’eau en été. L’éolien et le solaire peuvent alors assurer des relais indispensables, surtout si, au nom de la souveraineté énergétique, les applications de l’électricité sont appelées à se multiplier dans des secteurs fortement énergivores, comme les data centers ou le parc automobile.

Quant au montant des subventions aux renouvelables dans le collimateur du ministre frondeur, la Commission de régulation de l’électricité (CRE) explique effectivement que la hausse de 7,7% au 1er aout du tarif d’acheminement de l’électricité (TURPE), payé par les consommateurs, répond en partie à l’augmentation du nombre de raccordements des installations de l’éolien en mer. Mais Bruno Retailleau omet de préciser que cette hausse est aussi justifiée par l’adaptation au changement climatique et à la modernisation du réseau tout entier. Voilà qui concerne aussi bien les énergies renouvelables que le nucléaire ! Le recours à l’atome n’est pas neutre non plus. Et le ministre passe sous silence le recul en un an de 40% du prix moyen de l’électricité en 2024 sur le marché spot, « décrue découlant principalement de l’abondance de la production d’électricité bas carbone à faible coût en France et en Europe », souligne la CRE. Si l’atome a du bon, l’électron vert aussi ! Et pour EDF, les productions conjuguées du nucléaire et des renouvelables ont permis aux exportations d’atteindre le montant inédit de 5 milliards d’euros.

Enfin, on n’ouvrira pas ici le dossier complexe des déchets nucléaires. Mieux vaut, quoi qu’il en soit, les limiter au possible. Mais on rappellera que dans les dossiers énergétiques, aujourd’hui pour les renouvelables comme dans les années 70 pour le nucléaire, les visions qui façonnent l’avenir ne naissent pas de comptes d’apothicaires.

Gilles Bridier