Retailleau fera-t-il reculer le RN ?
En mettant le paquet sur la question de l’immigration, le ministre de l’Intérieur joue gros. Pour les uns, il taille des croupières à Marine Le Pen ; pour les autres, il lui ouvre la voie.

Qui l’eût dit il y a seulement six mois ? Voici l’austère Bruno Retailleau sous les sunlights, super star des sondages, nouvelle coqueluche du pays, en route pour prendre la tête de son parti, candidat potentiel à la présidentielle, n’en jetez plus… Recette miracle : un parler rude sur l’immigration, au point de passer pour plus crédible sur cette question que les dirigeants du Rassemblement national : 47% des Français lui font confiance, six points de plus que Marine Le Pen et Jordan Bardella alors qu’il s’agit de leur sujet de prédilection (sondage Elabe pour BFMTV).
Une situation aussi flatteuse que dangereuse. A force de hausser le ton et le menton, le Vendéen s’expose. Un pari à quitte ou double. Soit il réussit à obtenir des résultats, et il peut espérer aspirer des électeurs égarés à l’extrême-droite tout en séduisant ceux du centre. Mais si les difficultés persistent pour résorber ce que François Bayrou a appelé « le sentiment de submersion migratoire », ce qui est possible vu l’impossibilité de traiter en quelques mois un problème aux multiples facettes, le retour de bâton sera sévère. Pour le plus grand profit du RN.
Pour l’heure, Bruno Retailleau a engagé une action déterminée pour en finir avec les OQTF non exécutées. Lors du conseil interministériel sur l’immigration réuni ce mercredi, il a été décidé de jouer du « rapport de force » souhaité par le Vendéen. Un ultimatum a été posé, donnant six semaines aux autorités algériennes pour accepter leurs ressortissants faute de quoi des accords bilatéraux, notamment celui de 1968, seront dénoncés.
Le Premier ministre s’est défendu de toute « escalade », mais un acte a été posé, qui n’a pas plu à Alger. A Paris, les réactions sont mitigées. L’extrême-droite plaide pour encore davantage d’intransigeance tandis que l’extrême-gauche déplore ces attaques contre notre ancienne colonie. Classique. Gênée, la gauche de gouvernement peine à formuler une opinion sur ce qu’il faudrait faire, partagée entre son souci de ne pas avoir l’air déconnectée de l’indignation des Français et celui de ne pas sembler s’en prendre aux immigrés algériens.
Le gouvernement, qui était partagé entre les tenants d’une ligne diplomatique, représentés par Jean-Noël Barrot, et les partisans de montrer les muscles, à l’instar de Bruno Retailleau, s’est rangé derrière la position de l’hôte de Matignon, plus proche des seconds que des premiers. Mais l’affaire n’est pas terminée. Selon l’issue du bras de fer avec Alger, Beauvau sera gagnant ou perdant. Une liste de noms doit être envoyée, demandant leur réadmission. Pas certain que tous ces « proscrits » quitte la France de sitôt…
Le ministre de l’Intérieur joue sa crédibilité sur ce dossier, comme sur tous les autres où il affiche une fermeté d’airain. S’il engrange des satisfactions jugées comme des progrès par ses concitoyens, tous les espoirs lui sont permis. Mais en l’absence de résultats, ses vrais-faux amis à droite et au centre-droit seront trop heureux de souligner les limites du personnage en se cherchant une solution de remplacement. Et l’extrême-droite triomphera en soulignant qu’elle seule pourrait être efficace.
Pour avoir une chance d’exister quel que soit leur adversaire à droite, les socialistes doivent sortir d’un trop confortable déni et proposer leur propre chemin. Les électeurs progressistes méritent cet effort. Sur les sujets régaliens, la gauche sociale-démocrate ne peut se contenter d’être la grande muette.