Retailleau menace Philippe
La victoire de Bruno Retailleau ouvre une nouvelle étape : celle du duel avec Édouard Philippe pour s’imposer dans la course à l’Élysée. Surenchères musclées à la clef.
« J’aime la concurrence », confie Édouard Philippe. Cela tombe bien, il va en avoir. Bruno Retailleau est bien décidé à porter haut les couleurs de LR, au point d’apparaître comme le candidat qui peut faire gagner son camp et marginaliser tout autre impétrant. Pour l’instant, c’est le maire du Havre qui est le favori des sondages, mesuré à plus de 20% des intentions de vote à la présidentielle lorsqu’il est en compétition avec le Vendéen, qui recueillerait, selon la dernière étude Harris Interactive, un score aux environs de 12-13%. Mais il reste deux ans…
L’ancien Premier ministre a senti le danger. Avant même les résultats qui ont porté en triomphe l’hôte de Beauvau, il prononçait un discours des plus musclés face à ses troupes, sur la sécurité. Pas question qu’on le prenne en défaut de mollesse ou même de centrisme. A Laurent Wauquiez qui ne cesse de mettre en garde contre la dilution dans le macronisme, le Havrais a rétorqué : « Les Français ne sont pas dupes de ceux qui font du trumpisme au petit pied en rêvant de ressusciter le bagne du Comte de Monte Christo à Saint Pierre et Miquelon ».
Mais il a surtout montré que sa fermeté n’avait rien à envier à celle du nouvel homme fort de LR, qu’il a visé en critiquant les contempteurs de l’état de droit « qui en font le bouc-émissaire de leur impuissance ». Édouard Philippe, lui, propose du concret. Notamment une « réforme massive de la justice », qui supprimerait la double peine et les JAP (juges d’application des peines), pour serrer la vis contre la criminalité. « La France est devenue le pays de la sanction incertaine et de la peine virtuelle. Il faut condamner tôt à des peines courtes ». Il est allé jusqu’à lier ouvertement les étrangers à l’insécurité : « Une partie de la violence qui s’exprime dans la société est liée à l’immigration ».
C’est bien parti pour les surenchères dans le domaine régalien. La compétition pour arracher la qualification au second tour de la présidentielle se jouera clairement sur des thèmes de droite. Parce que le pays est en demande d’autorité et d’efficacité. Et parce que sur les sujets économiques et sociaux, il n’y a guère de quoi faire rêver. Quand on est libéral, c’est plutôt du sang et des larmes. Alors, il faut s’attendre à des postures de plus en plus raides, les candidats de second rideau s’y mettant aussi. Ainsi le « centriste » Gabriel Attal s’est-il déjà fendu de propositions pour répondre à l’entrisme des Frères musulmans : interdiction du voile aux mineures de moins de 15 ans et une seconde loi sur le séparatisme…
Édouard Philippe pourra-t-il conserver son avance ou sera-t-il atteint par le syndrome Juppé, grand favori de départ, défait dans la dernière ligne droite par le conservateur François Fillon ? Ni Philippe ni Retailleau ne veulent de primaires. Il faudra donc attendre le verdict des sondages pour les départager. A priori, l’espace politique du Vendéen, un catho tradi, est plus étroit que celui du Havrais, plus ouvert sur les questions de société. Mais les dynamiques politiques ont leur mystère. L’ancien Premier ministre peut soudain être moins à la mode. Et l’homme de Beauvau apparaître comme le meilleur gage de victoire.
Tout dépend des performances de l’un et l’autre dans les hypothèses de second tour. Celui qui aura les meilleures chances de battre le Rassemblement National bénéficiera sans doute d’un réflexe de vote utile dès le premier tour. Les sondages capteront ce mouvement et les candidats pourraient décider que le moins bien placé se retire pour ne pas handicaper les chances du « meilleur d’entre nous » d’être qualifié au second tour. Car jusqu’au bout le suspens sera grand sur le nom, et l’orientation, de la personnalité qui sera sélectionnée pour affronter Marine le Pen ou Jordan Bardella.
Pour éviter que ce soit Jean-Luc Mélenchon ou Raphaël Glucksman, la droite et le centre-droit ont intérêt à être représentés par un candidat unique. Le Havrais et le Vendéen en ont déjà parlé et sont d’accord sur l’analyse. Réussiront-ils à s’appliquer la règle du retrait en faveur du mieux placé ? Après des mois de surchauffe, il est possible que cela devienne difficile. Le cœur, parfois, a ses raisons que la raison ignore…



