Retraites : cessons de sacrifier les jeunes !
La réforme du système de retraites devrait reposer sur un débat national qui placerait la question de la jeunesse et de la justice intergénérationnelle au cœur de la discussion.
PAR LE COLLECTIF TÉLÉMAQUE

La question des retraites occupe toujours la scène politique, non par choix, mais parce que les pistes d’économies publiques semblent épuisées. Derrière ce débat se cachent des enjeux bien plus larges tels que notre pacte social, le rôle des financements publics et l’équité entre générations. Il est grand temps de repenser notre système de retraite, pas seulement à travers le prisme de l’âge légal de départ, mais en s’attaquant aux causes de son déficit. Car notre système actuel est à la croisée des grandes impasses françaises : déficit budgétaire chronique, pouvoir d’achat en berne, inégalités croissantes, effondrement des services publics, et faible demande intérieure qui freine l’investissement.
Le dernier rapport de la Cour des Comptes a remis la question du déficit des régimes de retraite au centre du débat. Il entérine le fait qu’il n’y aurait seulement quelques milliards de déficit (6Md€ en 2024 avec une projection à environ 10 Md€ en 2030). Pourtant, les cotisations retraites rapportent 260 milliards, tandis que les pensions versées atteignent 380 milliards . Il manque donc 120 milliards d’euros par an, un déficit comblé par les impôts, l’accroissement de la dette et les transferts en provenance d’autres caisses ou de la dette. Pour la Cour des Comptes, il s’agirait d’une « diversification des ressources ». Toutefois, ce déficit alimente directement l’endettement de la France — une réalité qu’on ne peut plus balayer d’un revers de main et sur laquelle un débat de société s’impose.
Ce débat est d’autant plus crucial que le système actuel, loin de corriger les inégalités, tout particulièrement intergénérationnelles, tend à les renforcer : il revient à faire porter doublement le financement par les générations futures, qui devront payer des cotisations plus élevées tout en finançant les intérêts de la dette.
En outre, les pensions versées ne sont plus seulement un vecteur de diminution de la pauvreté des retraités, indispensable pour les plus précaires d’entre eux. Ils sont un facteur supplémentaire d’accumulation du patrimoine. En effet, les retraités se distinguent du reste de la population par un haut niveau d’épargne (entre 18 et 25%), qui produit un patrimoine médian bien plus élevé (194 000€ pour les plus de 70 ans contre 107 000 pour les 40-49 ans et 51 000 pour les 30-39 ans), détenu à 60% par les plus de 60 ans, qui sont également la tranche d’âge la plus multipropriétaire. Enfin, en raison de l’allongement de la durée de vie, les biens hérités sont transférés à des individus au patrimoine déjà largement constitué, qui ont en moyenne plus de 50 ans et approchent eux-mêmes de la retraite. L’héritage renforce ainsi les inégalités au sein des générations. Les 65-74 ans subissent un taux de pauvreté de 10,6% contre 16,2% pour les 18-29 ans ) ; le traitement de ces inégalités est d’autant plus difficile que la taxation de l’héritage est taboue en France et que les niches fiscales telles que le dispositif Dutreil sont nombreuses.
La réduction de la pauvreté des seniors est un objectif louable et une réussite manifeste, mais elle ne doit pas se faire au détriment des jeunes. Aujourd’hui, beaucoup ne peuvent plus se loger seuls, vivent en colocation ou chez leurs parents, malgré un emploi. Cette situation n’est pas acceptable. Les cotisations élevées (28 %), ajoutées aux impôts finançant les retraites, pèsent lourdement sur leur pouvoir d’achat. Ce déséquilibre contribue même, indirectement, à la chute de la natalité : les enfants sont toujours désirés, mais des considérations économiques pèsent désormais sur les choix des couples.
Dans un contexte de dégradation des services publics de l’éducation, de la santé ou de la défense, il est regrettable qu’une part importante et croissante des budgets de ces ministères soit allouée aux retraites. Par exemple, dans l’Éducation nationale, près de 30 % des dépenses servent aujourd’hui à payer les retraites des fonctionnaires, contre 22 % en 2006. Ainsi, sur 100 milliards d’euros, ce sont 30 milliards qui ne servent pas à l’éducation des nouvelles générations, celles qui demain devront assurer le financement des retraites des actifs d’aujourd’hui.
D’aucuns appellent à remplacer d’urgence ce système de retraite par un système par capitalisation, eldorado de l’optimisation. Mais au-delà des questions de principe et des difficultés que soulève la transition vers un nouveau régime, c’est oublier qu’un tel système reposerait sur les mêmes données structurelles : un nombre d’actifs insuffisant et une trop faible productivité .
Il faut le dire clairement : personne n’est responsable des difficultés du système de retraite, sinon la démographie. Ce n’est pas une raison pour sacrifier notre jeunesse et notre avenir. Plusieurs mesures fiscales permettraient de rétablir une plus grande justice intergénérationnelle et sortir de l’impasse actuelle : abolition de certains avantages fiscaux, hausse ciblée des prélèvements sur le capital, diminution des pensions de retraite les plus élevées, augmentation des droits sur les successions, baisse de la fiscalité du travail… Ces orientations, impopulaires pour certaines, pourraient être discutées dans le cadre d’un grand débat national qui placerait la question de la jeunesse et de la justice intergénérationnelle au cœur du débat public.
Quentin Bon (économiste), Baptiste Bondu-Maugein, Benjamin Rotenberg et Philippe Sabuco sont membres du Collectif Télémaque, qui regroupe des universitaires, des cadres de la fonction publique et du secteur privé et qui a publié « La Gauche du réel. Un progressisme pour aujourd’hui » (L’Aube, 2019).
[1] https://www.cor-retraites.fr/sites/default/files/2024-12/RA_2024_finale_impression.pdf
[2] Op. Cit.
[3] Seuil de 60% du revenu médian
[4]https://www.insee.fr/fr/statistiques/3565548
[5] La disparition progressive des régimes de fonds de pensions à prestations définies – les plus proches du système français – n’est pas anodine et objective le fait que l’outil principal pour la gestion des retraites est le pilotage des pensions versées en fonction de la réalité économique et démographique.