Retraites : conclave français et concile européen
Au moment où la planète assiste médusée à l’entrée en action du Néron des Amériques, la question des retraites, et plus généralement celle de la protection sociale, demeurent à l’ordre du jour de la politique hexagonale.

François Bayrou, en convoquant ce qu’il a nommé un « conclave », invite les partenaires sociaux à prendre la main et à trouver un accord, faute de quoi la dernière mouture des réformes dédiées s’appliquerait, sous contrôle du Parlement, concède-t-il. Mesure d’apaisement sans doute. Gain de temps assurément. Mais rien n’indique que puisse en sortir une solution pérenne.
Deux phénomènes universels bornent les débats. Baisse de la natalité et vieillissement des populations sont la règle. L’idée d’une exception démographique française a vécu. Les politiques natalistes ont connu des échecs retentissants, en Allemagne en dépit des moyens déployés à l’époque par Angela Merkel, et en France le « réarmement démographique » de Macron, par-delà le choix des mots, apparait au mieux comme un vœu pieux. La Commission européenne, dans ses prévisions, fixait clairement l’enjeu, dès 2019. À échéance d’une décennie, ce ne sont pas moins de quarante millions d’Européens de 15 à 64 ans qui n’émargeront plus aux statistiques quand, dans le même temps, la population des plus de 65 ans aura grossi de quelques quarante millions également.
Impossible de raisonner comme jadis dans un cadre strictement national. Faits et chiffres sont têtus, contraignant à une approche équilibrée des différents paramètres d’adaptation. Qu’il s’agisse de l’âge moyen (légal ou non) de départ en retraite – 65 ans en moyenne en Europe aujourd’hui, 67 en 2030. Qu’il s’agisse du taux de remplacement – plus de 70 % en France contre moins de 60 % en moyenne dans les pays de l’OCDE. Qu’il s’agisse du déficit du régime des agents de l’État – 50 milliards de subvention d’équilibre. Le niveau de la dette souveraine n’autorise plus une « cavalerie financière » commode, léguée aux générations futures. L’urgence est là. Ne pas agir serait, en effet, une faute politique et morale.
Cet état des lieux se conjugue avec des considérations plus générales – tout aussi préoccupantes. Les fondements des régimes de répartition, la prise en charge des ainés par ceux qui travaillent, sont ébranlés quand les revenus des actifs sont inférieurs à ceux des retraités qu’ils assistent. Le creusement des inégalités au détriment d’une jeunesse souvent cantonnée à la précarité n’est pas davantage soutenable. À laisser perdurer pareils déséquilibres sociaux, on prendrait le risque de saper la cohésion sociale et le vivre ensemble d’une société meurtrie par l’impéritie de ses gouvernements et de ses corps intermédiaires. Le débat public, sous la pression démagogique des populistes souverainistes des deux rives, FN/RN et LFI, aura fait perdre plusieurs années.
La véritable alternative réside assurément dans l’équation européenne, tant il est vrai qu’une UE s’affirmant comme puissance responsable ne peut se permettre de ne pas rapprocher ses systèmes de protection sociale – sauf à prendre le risque du château de cartes. Un rapprochement indispensable que la gauche de gouvernement et de transformation sociale doit porter, sans oublier un projet déclinant des droits équitables à tous les âges de la vie. La jeunesse, comme les retraités, ceux qui travaillent, nés ici ou ailleurs, ont un droit inaliénable à des conditions d’existence décentes, à une égalité des chances dans la vie et dans la cité, comme le prévoit La Charte sociale européenne – 1961, révisée en 1996.