Retraites : et si la gauche se trompait ?
Est-il bien raisonnable d’exiger le retrait pur et simple de la réforme des retraites quand on connaît les données du problème ? Ne vaudrait-il pas mieux négocier son aménagement ?
En ouvrant de nouvelles discussions dès le début 2025 sur l’âge de départ en retraite comme il s’y est engagé, gageons que le Premier ministre François Bayrou aura en tête la dernière étude de la Drees sur l’espérance de vie en bonne santé, en progression à 77 ans pour les femmes et 75,5 ans pour les hommes. Voilà qui confirme les statistiques de l’Ined, selon lesquelles l’espérance de vie globale pour les femmes est aujourd’hui de 86 ans, et de 28 ans pour celles qui atteignent 60 ans, tandis que pour les hommes, cette espérance est de 80 ans, et de 23 ans pour ceux qui passent le cap des 60 ans. La question vaut aussi pour la gauche, qui donne le sentiment d’ignorer volontairement ces données essentielles.
Ces approches chiffrées peuvent sembler rébarbatives, mais elles sont le socle de toute réflexion sur les retraites. Si l’on se réfère aux statistiques qui précèdent et en considérant un âge de départ à 64 ans, la durée de vie espérée en retraite est aujourd’hui de 24 ans pour les femmes et de 19 ans pour les hommes. Ainsi, même avec la réforme menée par Elisabeth Borne, la situation en 2024 est plus favorable qu’en 1981, lorsque l’âge de départ en retraite a été abaissé à 60 ans : les seniors qui quittaient alors le monde du travail pouvaient espérer jouir de leur retraite, en moyenne, pendant 22 ans pour les femmes et 17 ans pour les hommes, soit deux ans de moins qu’aujourd’hui.
De plus, la démographie s’est transformée entre 1981 et 2024. A l’époque, le ratio entre actifs cotisants et retraités pensionnés approchait 3, c’est à dire que, selon le principe de la retraite par répartition, trois personnes en activité payaient la pension d’un retraité, directement et via leur entreprise. Aujourd’hui, ce ratio n’est plus que de 1,7 (et même 1,4 pour le seul régime général), prévient l’Insee, et il devrait continuer de se dégrader. Ce qui complique singulièrement l’équation pour équilibrer le système par répartition, même si celui-ci permet de maintenir une solidarité entre les générations.
Responsabilité et démagogie
À ce diagnostic, il faut ajouter la question de l’endettement. En 1981, la dette publique était contenue à 22% du produit intérieur brut, alors qu’elle dépasse aujourd’hui les 110%. Elle a coûté 50 milliards d’euros en intérêts l’an dernier et ce montant passera à 70 milliards en 2027. Bien sûr, il n’est pas question d’imputer la dette de la France uniquement aux retraites, loin s’en faut : leur système de financement a été excédentaire jusqu’en 2023. Mais selon le Conseil d’orientation des retraites (COR), il est devenu déficitaire l’an dernier en raison de l’évolution démographique et devrait le rester durablement. L’enveloppe globale annuelle de 380 milliards d’euros représente tout de même 13,4% du PIB, et 23,6% des dépenses publiques, une proportion qui devrait continuer à croître jusqu’en 2030. Les retraites opèrent donc une ponction importante dans la répartition des richesses produites en France.
Faudrait-il aggraver le déficit du système et, par là, le déficit public, en abaissant aujourd’hui l’âge de départ, ce qui revient à dégrader encore plus le ratio cotisants/retraités ? Certes, on ne saurait appréhender la problématique des retraites uniquement à travers un prisme comptable. Mais il ne serait pas responsable d’évacuer la problématique financière par pure démagogie.
Aussi, plutôt que s’arc-bouter sur un âge couperet, on peut aussi introduire de la nuance en considérant que l’espérance de vie des cadres est plus élevée que celle les ouvriers – de trois ans chez les femmes et de cinq ans chez les hommes. Ce fut l’objet de l’introduction de la pénibilité et des carrières longues dans les précédentes réformes, pour plus d’équité entre les retraités. Ces aménagements seront au menu des discussions auxquelles François Bayrou veut convier les partenaires sociaux et les partis politiques. Il est possible d’aménager la réforme de 2023 sans pour autant la suspendre dans l’immédiat ; sans écarter les compromis qui pourraient émerger dans le cadre d’un système de retraite à points, dont le Premier ministre s’est déclaré partisan.