Révolution conservatrice, saison 2

par Pierre Benoit |  publié le 10/01/2025

Dans les années 1980, l’ère Reagan avait changé la planète. En 2025, Trump et Musk lancent la deuxième insurrection réactionnaire, mondiale, numérique et protectionniste.

Le PDG de Tesla, Elon Musk, sur scène avec l'ancien président américain et candidat républicain à la présidentielle Donald Trump lors d'un meeting électoral sur le site de sa première tentative d'assassinat à Butler, en Pennsylvanie, le 5 octobre 2024. (Photo Jim WATSON / AFP )

A dix jours de son investiture au Capitole, le second mandat de Donald Trump a déjà commencé. Le 47ème Président américain fait semblant de renouer avec d’anciennes ambitions impériales en lorgnant du côté du Groënland, en parlant de récupérer le canal de Panama. Son futur « grand Vizir », Elon Musk, croise le fer avec des pays de la vieille Europe.

Celui qui donne de la voix est donc Musk, l’homme le plus riche de monde. En une semaine il a traité Olaf Scholz « d’imbécile incompétent » pour appeler aussitôt les Allemands à voter pour le parti d’extrême droite AFD aux élections février prochain. Ensuite le patron de Tesla s’en est pris au Premier ministre britannique, le travailliste Keir Starmer. Les Anglais sont sous le choc. La « relation spéciale » établie depuis la seconde guerre mondiale entre Londres et Washington s’en trouve ébranlée. Mais l’agenda du patron de X ne connait aucune pause. On lui prête aussi l’intention de miser financièrement sur le parti UKIP de Nigel Farage qui fut le stratège du Brexit anglais. Le même Farage qui a été reçu en décembre dans la résidence privée de Donald Trump en Floride tout comme la présidente du conseil italien Giorgia Meloni la semaine dernière qui trouve qu’Elon Musk a « du génie ».

A Bruxelles les réactions de l’Union Européenne sont faibles voire inexistantes devant l’offensive du tandem Trump-Musk. En décembre dernier encore, lors de la campagne de la présidentielle roumaine, la Commission avait ouvert une enquête pour mettre à jour le rôle joué par TikTok dans l’apparition d’un candidat surgi de nulle part… On pourra toujours dire que la présidence du conseil de l’UE étant assurée pour six mois par la Pologne, il faut avant tout éviter que Washington ne suspende son aide à l’Ukraine et sa présence dans l’OTAN. Certains naïfs pensent que Donald Trump pourrait au final accepter une utilisation à minima ou partielle de la réglementation numérique en vigueur dans l’UE. Qui peut croire aujourd’hui que les GAFA vont plier l’échine alors qu’Elon Musk rejette ces règles ?

Comme si les éléments précédents n’étaient pas assez probants, pour parler d’une offensive concertée contre l’Europe, le patron de Meta, Mark Zuckerberg, vient de rejoindre le nouveau président. Celui qui avait effacé de ses réseaux Trump après l’assaut sur le Capitole en 2021 déclare aujourd’hui son intention de travailler avec lui « pour faire pression sur les gouvernements du monde entier qui s’en prennent aux entreprises américaines ». Dans la foulée il annonce, sur ses réseaux, mettre un terme au travail de médiation et de vérification de l’information et s’en prend lui aussi à l’Europe qui multiplie « les lois institutionnalisant la censure »

Le soutien affiché aux partis populistes de l’Union Européenne, l’alignement des géants de la « tech » américaine derrière l’administration Trump ne sont que les deux faces d’une même opération : miner l’Europe parce qu’elle impose des taxes et des réglementations, aujourd’hui pour les plates-formes, demain pour l’intelligence artificielle. Et détruire l’Europe communautaire comme projet politique multilatéral porteur de valeurs et de liberté.

A la suite de deux mandats consécutifs (1981-84 puis 1984-88), Ronald Reagan avait incarné la « première révolution conservatrice américaine » en développant une politique néo-libérale radicale qui allait essaimer ensuite en Amérique Latine, en Asie, puis en Europe avec Margaret Thatcher. La démarche visait à réduire le rôle de l’état dans la gestion économique et à développer la consommation.

Avec Trump II, commence une autre « révolution conservatrice post numérique ». Un nouveau bloc de pouvoir vient de se cristalliser sous nos yeux. Il s’est constitué à la faveur des promesses démagogiques annoncées par Trump en direction des classes moyennes pauvres, des secteurs économiques touchés par l’inflation, avec aussi l’appui de larges secteurs des communautés. Au-delà des fonds apportés par les secteurs industriels appuyant le parti républicain, les grands patrons de la « tech » viennent de rejoindre en bloc la galaxie Trump avec leur puissance financière.

Sans surprise, l’idéologue de la bande est le libertarien Elon Musk qui flirte avec l’extrême droite internationale. Mais ils ont tous la même doxa idéologique : le culte de la liberté d’expression sans limite car les logiques réglementaires ne sont pas bonnes pour le chiffre d’affaires. Sans limites car désormais sans médiation, sans vérification, la porte est grande ouverte pour créer des vérités alternatives, des récits parallèles, dans le domaine de l’histoire comme celui de la science et, bien sûr, des narratifs politiques qui n’ont plus rien à voir avec le monde d’aujourd’hui. Un monde pour demain ou « post-numérique » rimera avec « post-humanisme ».

Pierre Benoit