Richard Ferrand contre la République
La nomination de ce proche du président jette une ombre inquiétante sur la pérennité des institutions républicaines, à la grande satisfaction du Rassemblement National.
Le 18 janvier 1793, la Convention vote la mort de Louis XVI à une voix près. Le 30 janvier 1875, l’amendement Wallon qui entérine la République est voté à une voix près. Le 19 février 2025, Richard Ferrand accède à la présidence du Conseil Constitutionnel : il manquait une voix pour repousser sa nomination par le Président de la République. Le soutien de l’extrême-droite, dont les 16 députés se sont courageusement abstenus, permet à un affidé d’Emmanuel Macron d’occuper pendant neuf ans le contrepouvoir le plus puissant de la République.
La légitimité déjà faible du Conseil ne sortira par renforcée par cette nomination : il a beau invoquer le « devoir d’ingratitude » de Robert Badinter, Richard Ferrand n’avait si son magistère moral, ni ses compétences juridiques, ni sa probité. Il y sera la voix de son maître, celui qui l’a tiré du néant dans lequel sa défaite électorale l’avait fait tomber en 2022, pour mieux y servir un camp plutôt que le droit. Sa défense est bien légère : « J’ai plutôt tendance à faire confiance à l’humanité » estime-t-il pour faire valoir sa position. Depuis Athènes, jamais aucun régime démocratique n’a placé sa confiance en l’homme : les institutions sont d’autant plus fortes qu’elles barrent la route à toute prise de pouvoir par un seul homme ou un groupe déterminé à user de la force publique à son propre avantage. La règle du rejet des nominations présidentielles par le 3/5èmes des commissions a empêché les parlementaires de faire barrage à cette OPA hostile.
Pourquoi l’extrême-droite n’a-t-elle pas voté contre la nomination du Président ? Olivier Marleix (LR) pourrait bien raison de parler de « deal secret » entre le RN et les macronistes. Marine Le Pen attend le résultat de la question prioritaire de constitutionnalité qui décidera de sa capacité à se présenter en 2027. Cela sera l’une des premières décisions de Richard Ferrand, qui pourra renvoyer l’ascenseur à la favorite du scrutin. Et tout cela survient tandis qu’une enquête du Cevipof montre que les Français n’ont pas confiance dans leur élus (74%), que le personnel politique est corrompu (74%) et que l’on ne peut pas faire confiance au Conseil Constitutionnel (61%). Étonnant ?
La liberté des Français et la sauvegarde des principes républicains ne peuvent faire l’objet d’obscures tractions de couloirs entre un Président affaibli et un parti raciste aux tendances autoritaires. Ces valeurs doivent être sauvegardées par une Cour suprême au personnel qualifié, à la procédure de nomination transparente, et aux décisions juridiques dûment motivées. Trois éléments qui aujourd’hui nous manquent.
La nomination de Richard Ferrand est l’ultime symbole d’une République en crise, où la pratique de la Constitution sans le respect de l’esprit qui l’anime ébranle les contre-pouvoirs. Quand la clef de voûte de cet édifice déjà largement lézardé depuis 2022 quittera la scène, qu’adviendra-t-il ?