Richard Gere : la fuite par le Canada

par Thierry Gandillot |  publié le 20/12/2024

A l’affiche ce mercredi 18 décembre, « Oh, Canada » relate l’histoire d’un documentariste accordant une ultime interview pour raconter toute la vérité de son existence. 

Leonard Fife (Richard Gere) et sa femme Emma (Uma Thurman) dans « Oh, Canada », réalisé par Paul Schrader.

« Oh, Canada » est une double histoire d’amitié. Amitié d’abord entre le réalisateur Paul Schrader, et l’écrivain Russell Banks, décédé il y a près de deux ans. Une relation qui remonte à de longues années depuis que Schrader a adapté – en 1997, déjà -, un roman de Banks : « Affliction », avec Nick Nolte, Sissy Spacek, William Dafoe et James Coburn. (Quel casting !)  

Le titre – un peu étrange – du film, « Oh, Canada », appartient à cette histoire d’amitié. « Quand Russell est tombé malade, je jonglais avec différentes idées, révèle Paul Schrader. J’ai compris que la mortalité devait être l’objet de mon prochain film. Russell avait écrit un livre à ce sujet lorsqu’il était bien portant : Foregone (« Inéluctable »). Il avait souhaité l’appeler « Oh, Canada », mais c’était impossible à cause du roman Canada de Richard Ford. Russell m’a demandé avant de mourir de donner au film le titre qu’il aurait aimé initialement voir sur la couverture. C’est pourquoi « Foregone » s’intitule « Oh, Canada ». »

Amitié avec Richard Gere, ensuite. « Oh, Canada » marque les retrouvailles des deux hommes, quarante-cinq ans après le mythique « American Gigolo ».« Quand on essaie de monter un film, on pense :  » qu’est-ce qui attirera l’attention des gens » ? », indique Schrader à propos de son casting. Et de fait, Richard Gere fait bien plus qu’attirer l’attention des gens : il captive.

Ici, Richard Gere incarne Leonard Fife, célèbre documentariste canadien, une conscience morale installée depuis le milieu des années 1960. Caméra au poing, il a dénoncé de nombreux scandales comme les expérimentations secrètes du fameux « agent orange » qui allait tristement servir au Vietnam ; ou le massacre des bébés phoques.

Pendant un demi-siècle, Fife a été de toutes les luttes de la gauche radicale, écologiste et pacifiste. C’est une icône. Alors qu’il est mourant, l’un de ses anciens étudiants, Malcolm, lui demande d’enregistrer une émission dans laquelle il raconterait sa vie pour l’édification des jeunes générations. (Pour l’occasion, l’acteur Michael Imperioli s’est grimé en Martin Scorsese. On se souvient que Paul Schrader est le scénariste de « Taxi Driver » et de « Raging Bull », entre autres).

Les entretiens doivent se tenir en présence de la dernière épouse de Leonard, Emma (Uma Thurman), gardienne du Temple. Mais rien ne se passe comme prévu. Car l’irréprochable documentariste ne va pas livrer la version que ses thuriféraires attendent de lui. Au lieu de faire reluire sa statue, il entreprend, au soir de sa vie, de la déboulonner. En réalité, son existence n’aurait été qu’une fuite, une défausse, faite de lâchetés, de mensonges et de trahisons. Comme mari, comme père, comme citoyen.

À mesure qu’il avance dans son récit, les visages se décomposent autour de lui. Sa femme veut arrêter le tournage, mais lui s’accroche ; il veut dire la vérité. Mais comme dirait Lacan : « La vérité ne peut pas se dire, toute. C’est même par cette impossible que la vérité tient au réel.». Je ne sais pas si Schrader a lu Lacan, mais c’est tout comme…

« Oh, Canada », de Paul Schrader

Avec Richard Gere, Uma Thurman, Jacob Elordi, Michael Imperioli -1h35

Thierry Gandillot

Chroniqueur cinéma culture