RN et LFI : les deux antisémitismes

par Laurent Joffrin |  publié le 08/01/2025

Dans la polémique qui s’est développée à l’occasion de la mort de Jean-Marie Le Pen, on décèle une inquiétante rémanence de l’antisémitisme.

Laurent Joffrin

Le poison est toujours à l’œuvre, sous une forme insidieuse mais toujours aussi néfaste. Il s’est encore révélé à l’occasion de la mort de Jean-Marie Le Pen : l’antisémitisme du fondateur du Front national étant une évidence, les hommages qui lui sont rendus au sein de la droite et de l’extrême-droite n’échappent pas à l’ambigüité.

Certes Marine Le Pen avait exclu son père de la formation ; certes le discours public des lepénistes se garde de tout dérapage dans ce domaine et met surtout l’accent sur son soutien inconditionnel à Israël et sa dénonciation de l’islamisme, lui-même notoirement antisémite ; certes, les candidats RN qui succombent encore à leur tropisme anti-juif sont exclus. Certes, quand on demande à Laurent Jacobelli, député RN, si Jean-Marie Le Pen était antisémite, il répond : « Il a été condamné », manière de ne pas dire le mot mais de reconnaître la chose.

Mais cet antisémitisme reconnu du bout des lèvres n’a pas empêché, bien au-delà des condoléances habituelles, les hommages politiques les plus vibrants, les protestations de fidélité à son héritage ou, comme l’écrit Marion Maréchal, la volonté de poursuivre la « mission » qui était celle du patriarche, lequel, il faut toujours le rappeler, plaçait l’antisémitisme au fondement de sa doctrine. La prise de distance existe, donc, mais moderato cantabile, au milieu d’un éloge ému et d’une reconnaissance énamourée de l’œuvre du fondateur anti-juif, sans lequel, rappellent-ils tous, ils ne seraient pas là aujourd’hui. Nostalgie persistante, indulgence complice et coupable…

Pour se défendre – ou pour noyer le poisson – droite et extrême-droite ont contre-attaqué en clamant que l’antisémitisme, aujourd’hui, est à gauche, ou à l’extrême-gauche. Le pare-feu est commode et le procédé rhétorique cousu de fil blanc (ou brun). Mais c’est aussi là que l’embarras apparaît à gauche. Les attaques du camp d’en face sont excessives, outrancières. Mais elles s’appuient sur des faits, qu’on ne saurait passer sous silence, puisqu’ils concernent l’un des principaux partis du Nouveau Front Populaire.

Premier exemple, très parlant : pendant la campagne des Européennes de 2024, Aly Diouara, responsable local LFI, qualifie Raphaël Glucksmann de « candidat sioniste » et, dans une vidéo qu’il diffuse peu après sur Twitter (X), il appelle à « dégager » spécifiquement trois candidats : Raphaël Glucksmann, François Kalfon et Emma Rafowicz, qu’il accuse d’être « complices du génocide ». Ces candidats sont les seuls visés sur la liste Parti socialiste-Place publique, et tous trois ont des noms à consonance juive. Qu’est-ce que cela, sinon de l’antisémitisme plus ou moins officiel (plutôt plus que moins…) ? Or ce candidat qui n’aime pas « les sionistes » (les Juifs dans le langage de l’islamisme)… est aujourd’hui député LFI.

Cas isolé ? Non : les multiples déclarations de Jean-Luc Mélenchon sur ces sujets, on le sait, sont affectées d’une très gênante connotation. L’antisémitisme en France, dit-il au moment même où il explose, est « résiduel ». Il accuse la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, de « camper » à Tel Aviv drôle de mot pour parler d’une femme aux origines juives. Il refuse de participer à la marche contre l’antisémitisme en affirmant que « les amis du soutien inconditionnel au massacre ont leur rendez-vous ». Or, la marche est en partie organisée en réponse à la hausse des actes antisémites en France, etc.

De toute évidence, Mélenchon a un problème avec les Juifs. Quant à son parti, il fait alliance, notamment dans les quartiers, avec des militants dont les préjugés antisémites affleurent. Il accueille aussi des représentants patentés de la mouvance décoloniale, Danielle Obono, Ersilia Soudais, ou Rima Hassan, qui tiennent le pogrom du Hamas pour une action de « résistance » et imputent toutes les responsabilités à Israël, désigné sous le terme de puissance « coloniale ». Or une bonne partie de ce courant estime que c’est l’ État d’Israël lui-même qui est une colonie et qui doit donc disparaître d’une manière ou d’une autre. Israël est ainsi le seul État de la planète dont les adversaires exigent la disparition : comment ne pas y voir une autre manifestation d’antisémitisme ?

Bien entendu, ces ambigüités, ces allusions, ces connotations, n’ont pas la brutalité et la clarté des positions de feu Jean-Marie Le Pen. Elles dérivent d’une source différente : non d’une quelconque hiérarchie entre les races, mais de l’idéologie décoloniale, à laquelle s’ajoute l’alliance tactique très louche passée avec certains milieux associatifs proches de l’islamisme. Aussi bien, LFI proscrit l’antisémitisme dans sa charte et le programme du NFP insiste sur la nécessaire lutte contre les racisme, et très spécifiquement l’antisémitisme.

Mais c’est aussi une défense bien faible que de remarquer que l’antisémitisme à l’extrême-gauche n’est pas aussi net qu’il le fut à l’extrême-droite du temps de Jean-Marie Le Pen. Moins d’antisémitisme, c’est évidemment toujours trop. Et dans tout parti de gauche, il encore plus scandaleux et n’a aucune place, qu’il soit petit ou grand, rare ou fréquent, ostensible ou subreptice. Tel est le problème – aigu, en fait – que LFI pose à la gauche française : comment faire confiance à un parti aussi trouble dans ce domaine ?

Laurent Joffrin