Rwanda : retour au pays martyr
Avec « Jacaranda », Gaël Faye livre un roman à la fois grave et enlevé, où lâchetés et compromissions voisinent avec les actes de solidarité
Gaël Faye n’est pas seulement un rappeur de talent (Pili-Pili sur un croissant au beurre, Lundi méchant, disque d’or…) ; il s’est aussi fait un nom en littérature avec son roman-phénomène, « Petit pays », vendu à plus de 300 000 exemplaires et couronné par treize prix littéraires, dont le prix du roman FNAC et le très apprécié Goncourt des lycéens. Le livre fut également adapté au cinéma par Eric Barbier.
Né à Bujumbura d’une mère tutsie réfugiée au Burundi dans les années 1960 et d’un père français, guide touristique spécialiste des crocodiles, il a fui son pays natal à l’âge de treize ans. Il est aujourd’hui installé à Kigali au Rwanda avec son épouse, dont les parents sont les fondateurs du Collectif des parties civiles pour le Rwanda, et leurs deux enfants.
Le roman, qui se déroule entre 1994 et 2020, raconte le Rwanda sur quatre générations. Milan, ainsi prénommé en hommage à Kundera, découvre vraiment le Rwanda à travers les images terribles diffusées au journal de 20 heures. Mais ses parents ne parlent jamais du pays qu’ils ont fui. Et c’est sans guère plus d’explications que Milan voit arriver chez lui, un petit garçon, que sa mère lui présente comme son cousin. Chétif et apeuré, Claude a le crâne entaillé par une cicatrice, et ne dit pas un mot. Ses nuits sont hantées par les cauchemars et Milan vint le calmer en le prenant dans ses bras. Un jour, Claude disparaît aussi soudainement qu’il était arrivé. Milan est effondré, il croyait avoir trouvé le petit frère qu’il n’avait jamais eu ; il se sent trahi.
Milan foulera pour la première fois le sol rwandais quatre ans plus tard – un peu à contrecœur – en compagnie de sa mère venue régler quelques affaires à Butare. Le premier contact avec la réalité rwandaise est rude : accueil abrupt de la grand-mère, hygiène et nourriture déplorables, tout le rebute. Mais peu à peu, il découvre derrière ce décor peu reluisant, une vie pleine de surprises. Il se fait des amis dans une sorte de squat nommé le Palais, où un dénommé Sartre, au milieu de milliers disques et de livres, règne sur une bande de jeunes orphelins à l’abandon, les mayibobos, tout en éclusant des litres de bière de banane et en tirant sur des pétards. C’est là que, pour sa plus grande joie, resurgira Claude. Bien d’autres personnages, souvent hauts en couleur, au destin tragique, apparaîtront peu à peu dans la vie de Milan, parmi lesquels une amie de sa mère, Eusébie, dont le mari et les quatre enfants ont été massacrés. Et une petite Stella qui a l’habitude d’aller se réfugier dans les plus hautes branches d’un jacaranda au tragique secret.
Milan reviendra plusieurs fois au Rwanda, pays auquel il se sent profondément lié au point d’apprendre le kinyarwanda. Il s’y installe pour écrire une thèse sur les législations post-génocides depuis Nuremberg et les tribunaux populaires rwandais, les gacacas. Sa mère le décourage fortement de se lancer dans cette voie, moquant la naïveté dont il fait preuve en voulant ainsi remuer les strates nauséabondes d’un passé qui ne passe pas. Et déterrer des cadavres enfouis avec les secrets les plus inavouables. Avec « Jacaranda », Gaël Faye livre un roman à la fois grave et enlevé, nécessaire et frémissant, d’une grande justesse de ton, où lâchetés et compromissions n’empêchent pas les actes de solidarité admirables.
Gaël Faye – Jacaranda, Grasset, 282 pages, 20,90 euros.