Sahra Wagenknecht, la nostalgique du SED

par Boris Enet |  publié le 19/02/2025

La cheffe du BSW, apparaît comme une énigme en Allemagne. Elle illustre la fracture territoriale de la République Fédérale, 36 ans après la chute du mur et à quelques jours d’un scrutin déterminant pour l’UE.

Sahra Wagenknecht lors d'un meeting à Erfurt, le 11 février 2025 (Photo de Jens Schlueter / AFP)

Helmut Kohl et les secteurs clés de la bourgeoisie allemande avaient pourtant fait le nécessaire. C’était il y a 35 ans : la parité du mark entre les anciens lands de l’Est et ceux de l’Ouest, une réunification rapide, parrainée par Gorbi peu de temps avant son limogeage, malgré les circonspections de la diplomatie européenne, notamment française. 

Près de quatre décennies plus tard, la docteure en sciences économiques rappelle que l’histoire est une science au temps long. Sans surprise, les succès du BSW (Alliance Sahra Wagenknecht) sont à l’Est. La Thuringe, la Saxe et le Brandebourg lui permettent de cumuler entre 12 et 16% des électeurs, devenant une force d’appoint incontournable dans les parlements régionaux pour éviter l’AfD. Bonne oratrice, ancienne égérie de Die Linke, vitrine renouvelée de l’ancien parti unique en RDA, est-elle si insaisissable que le laissait entendre Der Spiegel dans un portrait de 2023 ?

Né d’un père iranien peu connu et d’une mère allemande, Sahra Wagenknecht est symptomatique de la perte de repères de la gauche alternative européenne. Elle entre au SED – parti communiste encore unique – peu de temps avant la chute du mur, puis rejoint naturellement Die Linke sous la conduite de Gregor Gysi, figure de proue de la gauche post-stalinienne, rallié par Oskar Lafontaine, longtemps chantre de la social-démocratie allemande, qu’elle épousera en secondes noces. 

Baignant dans un milieu intellectuel, elle peine pourtant à ajourner sa grille de compréhension du monde et les tâches incombant à la gauche du XXIème siècle. En 2019, elle lance Aufstehen, « Debout » en français, sur le modèle de Podemos ou des Insoumis, mais l’histoire tourne court. Quinquagénaire, elle est adulée par des octogénaires nostalgiques d’un monde qui n’est plus, allant jusqu’à déclarer : « J’aurais mille fois préféré passer ma vie en RDA plutôt que dans l’Allemagne dans laquelle je dois vivre actuellement ». Les près de 10 millions d’anciens citoyens d’ex RDA épiés par les 10 autres millions et victimes de la Stasi apprécieront. 

À la manière de Mélenchon, longtemps critique au cœur de la gauche, elle dérive en matière de politique étrangère et sur les questions économiques, par le prisme d’un souverainisme cocardier. En ce sens, elle diffère peu des groupes de la gauche alternative européenne, même si sa trajectoire s’est achevée en une forme de nationalisme revendiqué. 

Dès 2023, elle applique les grilles de compréhension imposées à la jeunesse de Berlin-Est à partir de cas pratiques. La Russie a bien déclenché « une guerre contraire au droit international », mais l’Otan est responsable. En février de la même année, elle manifeste contre la livraison d’armes à l’Ukraine, réclamant la paix avec Poutine, l’année suivante. Ce conservatisme géopolitique se double d’un conservatisme sociétal au nom de la défense du prolétaire allemand de « souche ». Reprenant la vulgate stalinienne sur les salaires étrangers, pesant sur ceux des nationaux et le « produisons allemand », elle se découvre alors un point de convergence avec une autre femme éminemment plus dangereuse, la cheffe de l’AfD, désormais protégée de Elon Musk, Alice Weidel. 

Exclut-elle par nature toute coalition possible avec les nostalgiques du führer ? Oui, mais avec une argumentation quelque peu spécieuse : « L’AfD a une aile d’extrême-droite très radicale, surtout à l’est du pays. On ne peut pas faire alliance avec ces gens… » À ce stade, son modèle migratoire puise dans celui des sociaux-démocrates danois, octroyant la responsabilité des attaques au couteau au chancelier Scholz. Mais l’histoire n’est pas finie.

Sa formation, mesurée autour du seuil fatidique de 5% pour entrer au Bundestag, ravive la crainte d’alliances conjoncturelles rouge-brune, conjurant le sort d’être les cocus de l’histoire. Dans « ce clair-obscur d’où surgissent » (effectivement) « les monstres », Wagenknecht ne possède que le chignon de Rosa Luxemburg, mais son phrasé devient toujours plus compatible avec celui d’Alice Weidel.

Boris Enet