Sandrine Rousseau et George Orwell

par Laurent Joffrin |  publié le 15/10/2024

Pour l’écologiste, les assassinats de Samuel Paty et de Dominique Bernard doivent être mis sur le même plan que la censure exercée par les conservateurs aux États-Unis. Un sophisme vieux comme l’extrême-gauche.

Laurent Joffrin

Tout démocrate, tout socialiste, toute personne de gauche (et de droite d’ailleurs) doit lire George Orwell. Pas seulement 1984, ou La Ferme des Animaux, qui dénoncent le totalitarisme, celui de Staline notamment, mais aussi un livre plus rare sobrement nommé Écrits Politiques (*). Dans la langue simple qu’il affectionnait, Orwell répond, entre autres, à un sophisme courant dans les milieux de gauche radicale : celui qui consiste à mettre sur le même plan démocraties et dictatures.

En Grande-Bretagne, note-t-il, les moyens d’information sont souvent aux mains des puissances d’argent. Beaucoup de militants de gauche, poursuit-il, en déduisent une équivalence entre la censure en pays démocratique et la censure en pays soviétique, puisque dans les deux cas une puissance supérieure tend à contrôler l’information. Avec une lumineuse logique, Orwell montre en quoi ce raisonnement pèche : en URSS, celui qui s’exprime librement risque d’aller en prison, en Grande-Bretagne, il n’éprouve aucune crainte à le faire. À partir d’un point commun – il y a censure des deux côtés – on tend donc à assimiler deux régimes en fait très différents, au bénéfice, bien sûr, du totalitarisme.

La faute logique ? On se fonde sur les différences de nature et on sous-estime les différences de degré. Comme il y a censure dans les deux systèmes, on postule qu’ils sont de même nature, tout en minimisant de manière aberrante les différences de degré. Or ces dernières sont telles qu’on ne peut comparer la liberté d’expression en régime démocratique, réelle même si elle est très imparfaite, avec la liberté en régime totalitaire, où elle est quasi-nulle.

Ce long détour pour débusquer le même genre de sophisme chez la militante de l’écologie radicale Sandrine Rousseau. Voici ce qu’elle vient de déclarer sur LCI à propos des assassinats de Samuel Paty et Dominique Bernard, répondant aux questions du journaliste Pascal Perri.

– Pensez-vous qu’il y a une offensive du courant islamiste à l’école ?
– Il y a une offensive de tous les conservatismes sur l’école.
– Celle-là en particulier ?
– Il y a aussi une offensive des conservateurs catholiques. Aux États-Unis, ils retirent les livres de bibliothèques, ce qui n’est pas bon signe. Celui-ci (le courant islamiste) est dangereux, d’autres aussi le sont.

Voilà bien sûr qui ferait bondir Orwell. Dans les deux cas, il y a atteinte aux valeurs de l’école. Même nature, donc. Mais le degré importe : les islamistes qui se sont attaqués à l’école française ont usé de l’assassinat. Dans les pays où le même courant est au pouvoir en Afghanistan, en Iran, ou en Arabie Saoudite – la culture et l’enseignement sont sous le contrôle étroit d’un État dictatorial. Aux États-Unis, les cas de censure existent – et il faut les dénoncer avec force – mais ils ne tuent personne et sont loin de caractériser la société tout entière. On peut s’exprimer librement, même si cette liberté est parfois écornée.

Sandrine Rousseau use de l’éternel sophisme de l’extrême-gauche : la censure existe en démocratie ; donc on n’est pas plus libre qu’en régime dictatorial (islamiste en l’occurrence). Sandrine Rousseau est universitaire : cela ne l’empêche pas, pour minimiser le danger islamiste, d’utiliser les mêmes tours de passe-passe rhétoriques que ses ancêtres d’extrême-gauche, réfutés par Orwell.

(*) George Orwell, Écrits politiques, 1928-1949, Éditions Agone, 2009.

Laurent Joffrin