Sarkozy dans la nasse libyenne
Certains épisodes de l’affaire du financement libyen de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007 seront difficiles à prouver. Mais l’accumulation des faits présumés, s’ils étaient avérés, montre une machination méthodique.
Dans quel pays vit-on ? On a vu juste avant les fêtes un ancien président de la République condamné à porter pendant une année ferme un bracelet électronique. On démarre l’année 2025 avec le procès du même Nicolas Sarkozy qui comparaît depuis le 6 janvier jusqu’au 10 avril devant le tribunal correctionnel de Paris en compagnie de douze autres prévenus.
Cette fois, il ne s’agit plus d’une rocambolesque affaire d’écoutes téléphoniques dite Bismuth pour l’obtention d’informations stratégiques dans le cadre d’un « pacte de corruption » mais bien d’une machination érigée en système de « corruption passive » qui aurait démarré fin 2004 afin d’obtenir du chef d’Etat libyen Mouammar Kadhafi, jusqu’à 50 millions d’euros en vue du financement de la campagne présidentielle de 2007.
Dans une remarquable enquête, le journal Le Monde en détaille chacune des étapes. L’affaire démarre à une époque où la Libye est accusée de financer le terrorisme international et d’avoir participé à plusieurs attentats : Lockerbie, Rome, Vienne et le crash du DC-10 d’UTA. Les dirigeants libyens cherchent à se racheter une conduite sur la scène internationale. Dans ce contexte, Jacques Chirac effectue une première visite officielle en Libye pour laquelle deux intermédiaires, bien connus pour être au cœur de la plupart des grands contrats internationaux, auraient joué un rôle clé : il s’agit de Ziad Takieddine et d’Alexandre Djouhri.
Alors ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy fait le service après-vente. Il va rencontrer Kadhafi pour lui parler officiellement de coopération. Ce serait à cette occasion que sous la tente du Guide à Tripoli, il aurait, selon Le Monde, évoqué pour la première fois le sujet de sa campagne présidentielle. Brice Hortefeux, fidèle parmi les fidèles de Nicolas Sarkozy, aurait ensuite pris le relais pour élaborer avec le proche entourage du chef de l’Etat libyen, les modalités de son financement. A l’issue des pourparlers, les hommes de Kadhafi auraient organisé le transfert de 5 millions d’euros en liquide destinés à être dépensés pour le candidat à la présidentielle Nicolas Sarkozy.
Du 10 au 15 décembre 2007, les Français assistent éberlués au retour en grâce de Kadhafi qui lors d’une visite en France, installe pour cinq jours sa tente dans les jardins de l’hôtel Marigny, à quelques centaines de mètres de l’Élysée, en bas des Champs-Élysées. Des voix s’élèvent, dont celle de Rama Yade, qui s’indignent de la présence à Paris de ce dictateur qui piétine les droits de l’homme.
Côté français, les intermédiaires désignés seraient Claude Guéant avec le soutien de son acolyte Ziad Takieddine qui lâchera le morceau une première fois en 2012 lors de son interrogatoire devant la Cour pénale internationale, puis en 2016 à un journaliste de Médiapart. Côté libyen, les témoignages commencent à se multiplier, en particulier ceux du directeur de cabinet et du premier ministre de Mouammar Kadhafi. Une obscure vente de tableaux présumée fictive, confirme, s’il le fallait, les liens étroits qui unissent le secrétaire général de l’Élysée Claude Guéant à Alexandre Djouhri et donne le sentiment de paiements en retour de services rendus tandis que celui-ci vend sa maison de Mougins pour une somme au-delà des prix du marché.
Les relations se poursuivent entre la France et la Libye jusqu’à la répression par Kadhafi des rebelles qui s’emparent de la ville de Benghazi lors du printemps arabe de mars 2011. A la surprise générale, Nicolas Sarkozy est alors l’un des premiers à appeler à une intervention internationale armée contre le régime de Kadhafi, ce qui incite l’un des fils du Guide à réclamer au président français l’argent libyen qui a financé sa campagne électorale. Kadhafi fait la même requête auprès du Figaro.
Le décès de Mouammar Kadhafi, tué par un bombardement de l’OTAN le 20 octobre 2011, va conduire la justice française à ouvrir le dossier libyen une année plus tard, après de multiples rebondissements, dont celui de la fausse rétraction de Takieddine via l’ineffable Mimi Marchand qui mènera à la mise en examen de Carla Bruni.
Claude Guéant et Ziad Takieddine subiront le même sort que la femme du président, avant l’arrestation d’Alexandre Djouhri à Londres et la mise en examen de Nicolas Sarkozy en personne, au mois de mars 2018, poursuivi pour « corruption passive », « financement illégal de campagne électorale » et « recel de fonds publics libyens ». Brice Hortefeux et Eric Woerth, le trésorier de la campagne présidentielle figurent eux aussi sur le banc des treize prévenus dont le procès s’ouvre le 6 janvier.
Après dix années d’une enquête fouillée orchestrée par le Parquet financier et les révélations de Mediapart, le tribunal correctionnel de Paris va tenter pendant plus de trois mois de dénouer, vérifier, consolider, et prouver les faits décrits par les enquêteurs. S’ils se révélaient avérés, on voit mal comment Nicolas Sarkozy pourrait cette fois éviter la case prison.
Valérie Lecasble