Sauver l’Ukraine, c’est sauver l’Europe
Selon qu’elle sera ou non capable de secourir l’Ukraine, l’Europe deviendra enfin une puissance ou bien restera un nain politique.

Tout s’est joué en une semaine. Lundi 24 février au siège des Nations-Unies, premier coup de tonnerre. La Russie et les États-Unis se sont alliés dans un vote sans précédent. On était le jour du troisième anniversaire de l’entrée en guerre de Moscou, cette résolution présentée par Kiev et ses alliés européens avait une vraie charge symbolique. Washington a rejoint Moscou, la Corée du nord et la Hongrie pour s’opposer au texte.
Second coup de tonnerre, vendredi 28 février, lors de l’entretien Trump-Zelensky. Toujours le bureau ovale. Cette fois, J.D. Vance, le vice -président est de la partie. Après avoir été traité de dictateur par Trump une semaine auparavant, le président ukrainien avait ravalé sa fierté. Il venait tenter d’arracher des garanties de sécurité américaines en échange d’un accord sur les minerais rares tant convoités par l’administration Trump.
Devant les caméras du monde entier, Trump a repris le narratif de Poutine, avec un ton paternaliste. Répétant que la Russie était entrée sur le territoire ukrainien, Zelensky est resté calme… Jusqu’au moment ou J.D. Vance est entré dans la conversation en lui disant qu’il était venu à Washington pour faire sa pub, pas pour discuter sérieusement. Il a craché son mépris devant un homme qui n’a pas assez dit merci à l’Amérique. Tout a dérapé, humiliation complète pour celui qui incarne la résistance ukrainienne depuis trois ans.
Un vote à l’Onu, un épisode obscène de téléréalité, en deux actes, les États-Unis viennent de tourner le dos aux intérêts stratégiques les unissant au vieux continent depuis la seconde guerre mondiale. C’est aussi la fin de la communauté de valeurs transatlantiques. Les dirigeants européens ne s’y sont pas trompé : « vous ne serez jamais seul », a écrit Ursula von der Leyen. La cheffe de la diplomatie européenne, l’estonienne Kaja Kallas, fixe la hauteur de l’enjeux : « il est clair que le monde libre a besoin d’un nouveau leader. C’est à nous, Européens, de relever ce défi. L’Ukraine est l’Europe ».
On saura très vite si la riposte européenne est suffisante. Un premier sommet européen a lieu ce dimanche à Londres, un second jeudi à Bruxelles avec les 27 pour renforcer le soutien à Kiev, accélérer l’Europe de la défense. En coulisses, les dirigeants danois, polonais, allemands, britanniques, français sont en contact permanent.
Le vainqueur des élections allemandes du 23 février, Friedrich Merz agit comme s’il était déjà chancelier, il a dîné cette semaine avec Macron. Il fait référence à Helmut Kohl pour relancer le moteur franco-allemand, en priorité sur la sécurité européenne. Devant le rapprochement spectaculaire entre Washington et Moscou, Merz estime indispensable que l’Europe se prépare « au scénario du pire », si l’Otan était amputée de sa garantie américaine. Il veut aussi « réparer » la relation avec Paris et Varsovie. Berlin, Paris, Varsovie, les trois pays dit du « triangle de Weimar » coopèrent depuis la réunification allemande. Nous sommes dans un moment politique unique pour lancer le calendrier d’une Europe de la défense.
Réagissant à la scène d’humiliation vécu par Zelensky, Macron s’est dit prêt à « ouvrir la discussion » sur une dissuasion nucléaire européenne si les européens « veulent une plus grande autonomie et des capacités de dissuasion ». Le sujet a déjà fait l’objet d’une discussion avec le futur chancelier Merz. Depuis son discours à la Sorbonne en avril 2024 le président français entretient l’ambiguïté sur une défense nucléaire à l’échelle de l’UE. La question mérite un débat national, sans doute périlleux dans la situation de fragmentation politique où se trouve le pays.
Dans l’urgence il faut renforcer l’aide à Kiev notamment en moyens anti-aériens, créer quelque chose comme le dôme de fer dont bénéficie Israël. Le second point faible de la défense ukrainienne est sa difficulté à atteindre les arrières du dispositif militaire russe. Berlin avait envisagé la possibilité de livrer des missiles de moyenne portée « Taurus », qui ne s’est jamais concrétisée avec le chancelier Scholz. En mer Baltique le développement des patrouilles maritimes dans le cadre d’un groupe aéronaval composé des pays riverains membres de l’Otan est déjà envisagé.
A ce stade de la crise, on ne sait pas si Donald Trump apportera un soutien à une force de maintien de la paix après la signature d’un accord de paix entre Kiev et Moscou. Le clash de cette semaine avec Zelensky a peut-être ruiné l’idée d’une force d’interposition de 30.000 hommes, sur laquelle travaillent Français et Britanniques depuis des semaines. Sans assurance américaine, le premier ministre britannique Keir Starmer ne voudra peut-être pas prendre le risque d’une confrontation avec les troupes russes si Poutine viole un accord de paix. Dans tous les cas de figure, il faudra plus de 30.000 hommes pour sécuriser l’Ukraine et ses quelques 1500 km de frontière avec la Russie.
Devant le retournement stratégique actuel, l’Europe doit savoir si elle veut exister comme puissance ou rester un nain politique.