Sécu : le mystérieux déficit
Les dérapages s’accumulent alors qu’aucune crise sanitaire ne peut expliquer le manque de maîtrise des comptes.
Quels maux frappent donc les Français? Aucune crise financière subite ne s’est abattue sur le pays, et pourtant elle surgit sans crier gare. D’où vient-elle, pour que les déficits s’accumulent comme par surprise ? On anticipait un déficit de 10,5 milliards d’euros pour la Sécurité sociale l’an dernier : il aura finalement grimpé à 18,2 milliards, soit près de 7,5 milliards de plus qu’en 2023. Pourquoi un tel dérapage, alors que la crise du Covid est loin et que la situation sanitaire du pays ne l’explique pas ? On comprendrait à la rigueur cet accroissement de dépenses si le système de santé donnait satisfaction… mais il se dégrade. Les Français sont attachés à leur protection sociale. S’il advenait qu’elle craque par laxisme excessif, ce serait la porte ouverte aux extrêmes pour s’emparer du sujet.
Pour l’instant, rien n’y fait. Le trou de la Sécu va encore se creuser en 2025, avec un déficit de plus de 22 milliards d’euros prévu dans la Loi de financement de la Sécurité sociale adoptée sans vote le 12 février à l’Assemblée nationale. Presqu’autant qu’en 2021, quand la crise du Covid frappait. Qu’elle semble loin, la fin des années 2010 lorsque les comptes de la Sécu tangentaient l’équilibre !
Quand elle pointe une dégradation du déficit « d’une ampleur inédite hors contexte de crise », la Cour des comptes prêche dans le désert. Elle brandit le risque d’une trajectoire financière « qui se dégrade continûment » au moins jusqu’en 2028. En cause, des recettes qui n’atteignent pas le niveau des estimations, en raison de performances économiques inférieures aux prévisions et d’ une croissance ramenée à un anémique 0,9%. L’emploi marque le pas et, selon un sondage des CCI, deux tiers des patrons de PME sont inquiets du risque économique. Les cotisations rentrent mal quand l’activité patine. Mieux vaudrait moins taxer le travail et plus le capital pour retrouver des marges de manoeuvre pour relancer le moteur de la production. Mais on tourne en rond, bien que la fameuse théorie du « ruissellement » chère à Emmanuel Macron pour ménager les détenteurs de capitaux ait montré son inefficacité.
Autre cause du dérapage : le vieillissement de la population. Aujourd’hui, les dépenses de santé d’un sexagénaire sont environ le double de celles d’un quadragénaire. Les personnes de 60 ans et plus, qui composent plus de 20% de la population selon l’Insee, sont à l’origine d’environ 45% de l’ensemble des dépenses de santé, indique le ministère compétent. C’est une réalité qui aurait dû être anticipée, et impliquerait des réflexions plus larges que le simple cadre budgétaire, afin que la prise en charge du grand âge ne dépende pas que de politiques fiscales. D’autres pays sont confrontés au vieillissement des générations du baby-boom, sans pour autant consacrer 35% de leur PIB aux dépenses de protection sociale (dont 10% pour le seul risque maladie).
Il ne s’agit pas de baisser la garde sur la prise en charge de la santé, mais de modifier l’approche. Car sans inflexion, l’accumulation des déficits de la Sécu risque de porter la dette sociale à 100 milliards d’euros en 2028, hypothéquant d’autant les capacités de l’Etat à assumer ses missions dans la santé sans amputer ses marges de manoeuvre pour soutenir la croissance. Sans modification de la trajectoire financière, le risque est bel et bien de déclencher une crise là où elle n’existe pas encore.