Si Trump gagne…
En donnant un coup de pouce à tous les populismes, la victoire du démagogue milliardaire résonnerait dans toutes les démocraties, y compris la France. Comment lutter ?
Nul ne peut sous-estimer l’importance du scrutin américain du 5 novembre. Les deux candidats sont au coude-à-coude dans les sondages, lesquels comportent une marge d’erreur qui rend toute prévision vaine. Possible, vraisemblable, la victoire de Donald Trump aurait d’immenses conséquences sur les autres démocraties.
Elle prodiguerait à tous les nationalistes et à tous les populistes de la terre un formidable encouragement. Ainsi, dans un pays enraciné depuis deux siècles dans une solide tradition démocratique, où le respect de la constitution était un article de foi, un démagogue condamné en justice peut se frayer un chemin vers le pouvoir à coups de mensonges et d’insultes, niant les réalités les plus évidentes et prévenant à l’avance qu’il n’acceptera pas la défaite dans les urnes. Quel exemple !
On dira que la France est encore épargnée par ce phénomène, que Zemmour s’est effondré, que les outrances de Mélenchon l’ont relégué en queue des sondages de popularité, que Marine Le Pen tente de se normaliser sans y parvenir et qu’elle a été mise en échec par un « front républicain » qu’on tenait pour moribond. Mais justement : une victoire de Trump changerait de nouveau cette donne, en démontrant que la mobilisation d’une base radicale paie plus que l’appel aux électeurs modérés lancé par Kamala Harris, que les discours de raison ne pèsent pas lourd face à la mobilisation des affects identitaires. C’est le pari de Mélenchon, qui cristallise autour de LFI un supposé « vote musulman » et occupe la scène par ses embardées radicales.
Peut-être cette éventualité désastreuse nous sera-t-elle épargnée. Mais en tout état de cause, la juste frayeur suscitée par la menace Trump doit faire réfléchir les démocrates de tous bords, à gauche notamment. La force du mouvement MAGA repose sur un facteur essentiel : la prédominance dans le débat américain (mais est-ce très différent ailleurs ?) de la « politique de l’identité », qui fait passer le sentiment d’appartenance à un groupe ethnique avant toute considération rationnelle. Quand Trump accuse les réfugiés haïtiens de « manger les chats et les chiens », il se ridiculise auprès des personnes de bon sens. Mais en replaçant l’immigration au centre du débat par cet argument grotesque, il aura peut-être marqué un point décisif.
S’il est si fort, c’est qu’il prend aux tripes un électorat blanc effrayé par la montée en puissance des minorités qu’exalte l’idéologie décoloniale, autant qu’à une Amérique masculine qui s’angoisse des progrès du féminisme et du mouvement LGBTQ+, y compris au sein de ces mêmes minorités. Le tout se conjuguant dans une synthèse nationaliste fondé sur le sentiment de déclin, sur la nostalgie de la grandeur, sur les valeurs religieuses et sur la fermeture des frontières.
À cette radicalité agressive charriant des fantasmes fascisants, faut-il opposer une « contre-radicalité » symétrique, fondée sur un programme de rupture démagogique mais mobilisateur ? Ou bien faut-il s’en tenir à la rationalité réformatrice, qui prendrait à bras-le-corps des sujets qui dérangent, comme le devenir national, l’immigration ou l’insécurité, autant que les grands défis que sont l’inégalité sociale, le sort des classes populaires et l’impérative mutation écologique ? C’est le débat qui doit s’ouvrir, quel que soit le résultat du 5 novembre.