Sur la route, une révolution de retard

par Gilles Bridier |  publié le 01/08/2025

Pour ralentir le réchauffement climatique, par où commencer ? Rien ne sera possible sans une remise en question profonde et durable des modes de vie. Pour être plus efficace, mieux vaut s’attaquer au secteur qui émet le plus de gaz à effet de serre: les transports. Et avant tout, la route.

Des voitures et des camions sur la route fédérale B7, près de Vieselbach, en Allemagne. (Photo : MARTIN SCHUTT / dpa Picture-Alliance via AFP)

Alors que tous les autres secteurs ont réduit leurs émissions, de gaz à effet de serre, celles des transports qui comptaient pour 30% du total il y a dix ans, en représentent 34% aujourd’hui, dont une grosse moitié pour la seule automobile. Aussi, alors que le secteur absorbait la moitié des produits pétroliers raffinés dans les années 80, ils en consomment aujourd’hui les deux-tiers compte tenu des efforts réalisés dans les autres secteurs. Et même si les besoins en produits pétroliers ont baissé en vingt ans en France, les livraisons de carburants routiers sont restées stables, confirment les industries du pétrole. Pas étonnant. Car le transport routier accro aux hydrocarbures domine haut la main les autres modes de transport. Plus de huit déplacements de voyageurs sur dix se font en voiture particulière, et près des neuf dixièmes des transports de marchandise sont réalisés par camions ou utilitaires légers. D’où une consommation effrénée.

Les statistiques ne manquent pas, qui vont toutes dans le même sens: le transport est lanterne rouge dans la transition énergétique. Pire, l’an dernier, ses émissions n’ont baissé que de 1,2%, contre 4,4% un an plus tôt, sermonne le Haut conseil pour le climat. Il est loin, le Grenelle de l’Environnement de 2007 qui prévoyait, notamment pour les marchandises, un transfert de la route vers le chemin de fer et le fluvial. Las ! Le fret ferroviaire n’a cessé de décliner et n’achemine plus que 9% des marchandises. Quant au fluvial il s’est effondré à moins de 2%. À rebours des engagements du Grenelle, la route a progressé, et avec elle les émissions de CO2. Les utilisateurs de voitures comme de camions invoqueront la souplesse du transport routier pour expliquer leur attachement. C’est certain. En plus, le bilan économique est souvent à l’avantage de la route, même pour la voiture individuelle comparée au train – ce qui est un comble s’agissant d’un transport collectif. La bonne conscience est économique.

A chacun de se demander si l’enjeu climatique ne vaudrait pas la peine de s’en remettre à d’autres solutions moins pénalisantes. Car il en existe, comme l’électrification des véhicules. Reste à les valider. Pour le transport de marchandises, les recherches sur des poids lourds électriques procèdent plus à ce stade de campagnes de communication que de solutions applicables à grande échelle. Quant aux autoroutes ferroviaires, qui sont une autre façon d’électrifier les transports routiers, elles sont considérées comme une solution d’avenir depuis… plus d’une trentaine d’années. Et, compte tenu des infrastructures spécifiques et des contraintes supplémentaires qu’elles impliquent, elles permettent au mieux le report de 5% du trafic des camions environ et uniquement sur des relations de l’ordre du millier de kilomètres.

En revanche, l’électrification du parc automobile est un projet réaliste… dans les pays d’Europe scandinaves notamment. En France, l’essai n’est pas encore transformé. L’an dernier, les ventes sur ce créneau ont représenté 17% des ventes de voitures neuves (deux fois moins qu’en Finlande ou en Suède), en baisse sur un an. Et l’essoufflement se poursuit en 2025. Les voitures sont chères, souvent massives car haut de gamme (ce qui est antinomique avec la recherche d’une plus grande autonomie). Les aides de l’État sont complexes. Et lorsque des modèles plus populaires sont commercialisés, leurs capacités se révèlent trop médiocres pour s’aventurer sur de longs parcours. Les constructeurs européens n’ont pas été au rendez-vous, non à cause d’une quelconque réglementation de la Commission européenne, mais à cause de leur manque de réactivité face à une concurrence chinoise en avance technologiquement et commercialement agressive.

Les véhicules hybrides non rechargeables (uniquement par la récupération d’énergie) tirent mieux leur épingle du jeu auprès des automobilistes; ils représentent près de la moitié du marché du neuf en ce début d’année. Mais le gain sur la consommation d’essence (et donc sur les gaz à effet de serre) est limité, de 10 à 15% de la consommation en fonction de l’utilisation des véhicules. Si l’électrification est indéniablement une vraie rupture technologique, elle ne pourra pas porter ses fruits pour le climat avant que le parc automobile soit largement électrifié. Or, l’an dernier sur les 39 millions de voitures en circulation en France, on comptait seulement 4% de voitures électriques et hybrides rechargeables. Les pétroliers ont encore de beaux jours devant eux, aussi longtemps que les voitures continueront d’être perçues comme les vecteurs d’une liberté de déplacement inaliénable.

En outre, pour réduire les émissions de CO2, il ne suffira pas de changer de technologie. Au siècle dernier, la faculté de se déplacer facilement grâce au moteur thermique a changé les modes de vie. En passant à l’électrique, les capacités de déplacement changeront et les modes de vie avec elles. Encore faut-t-il l’accepter…

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Gilles Bridier