Syrie : la nouvelle guerre de Netanyahou

par Pierre Benoit |  publié le 21/07/2025

Les affrontements communautaires en Syrie sont l’occasion pour Israël d’affaiblir encore son voisin. Avec des arrière-pensées stratégiques…

Des véhicules militaires israéliens longent la barrière frontalière en direction d'Israël, sur le plateau du Golan, le 17 juillet 2025. Les forces gouvernementales syriennes se sont retirées de toute la province de Soueida après plusieurs jours de carnage sectaire au cœur de la minorité druze, ont indiqué un observateur de guerre et des témoins le 17 juillet 2025. (Photo de Jalaa MAREY / AFP)

Sept mois après la chute de la dictature Assad, la Syrie vient de traverser une semaine d’affrontement qui menace directement sa fragile transition démocratique. A l’origine de cette tourmente, encore et toujours les tensions entre les communautés qui composent un patchwork ethnique, jamais reconnu comme tel sous l’ancien régime. Mais aussi les manœuvres d’Israël dans la Syrie de l’après Assad.

Cette fois l’étincelle s’est produite avec l’enlèvement d’un commerçant druze par des bédouins armés. Nous sommes proches de la ville de Soueïda, une région du sud syrien à majorité druze, ou les haines religieuses et les contentieux de la guerre civile restent à vif. Très vite les affrontements entre bédouins et milices druzes, avec exactions et pillages, se sont étendus à plusieurs villages.

Dans cette même province de Soueïda, une série d’accrochages entre miliciens druzes et forces gouvernementales avaient fait en avril et mai dernier une centaine de victimes. Par souci d’apaisement le nouveau pouvoir avait alors confié la sécurité urbaine aux milices druzes.

Au soir du lundi 14 juillet, le ministre de l’Intérieur a reconnu l’échec de cette politique et annoncé le redéploiement des forces de Damas. Dans la communauté druze, les chefs de clans ne sont pas tous d’accord : si la plupart ont fait allégeance au nouveau pouvoir incarné par le président intérimaire al-Charaa, l’influent chef religieux Hikmat Al-Hijri rejette l’autorité de Damas. Il considère que les forces de sécurité sont infiltrées par des gangs islamistes sunnites. Au soir du 14 juillet, c’est lui qui a demandé une « protection internationale » pour sa communauté.

Avec l’arrivée des premiers blindés, les affrontements de Soueïda ont basculé dans autre chose : la chasse israélienne a commencé à bombarder les colonnes dépêchées par Damas. « Nous ne permettrons pas que du mal soit fait aux Druzes de Syrie », déclarait le ministre de la défense, Israël Katz pour justifier les frappes de Jérusalem.

L’affichage sur la défense de la communauté druze a de quoi étonner. Pendant les 53 ans de domination du clan Assad, Israël s’est accommodé de cette dictature immobile. L’occupation du plateau du Golan suffisait aux gouvernements israéliens successifs. L’arrivée au pouvoir à Damas d’un ancien djihadiste reconverti a changé la donne.

Le mercredi 16 juillet a été la pire journée de sa nouvelle vie pour al-Charaa. La chasse israélienne a ciblé le ministère de la défense, l’état-major militaire, le quartier du palais présidentiel… Damas n’avait pas connu de tels bombardements depuis la guerre civile. Le nouveau régime ne dispose d’aucune défense aérienne. L’intensité des frappes portait le message de Netanyahou comme un ordre : le retrait immédiat des forces de Damas de la ville de Soueïda au profit des milices druzes.

Al-Charaa n’a pas eu le choix, il a fait retirer ses forces de la ville. Dans la nuit, il a adressé un message au 700.000 Druzes syriens leur promettant justice pour les exactions commises et protection. Sans le retrait de ses forces, le président syrien a bien compris que les frappes israéliennes allaient continuer sans répit et ce en dépit des pressions américaines. Sur place, l’envoyé spécial de Trump, Tom Barack, avait orchestré plusieurs discussions directes entre Damas et Jérusalem.

Selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme, cette semaine sanglante aura coûté la vie à un millier de personnes dont un tiers appartenant aux forces de sécurité officielles. L’intervention de la chasse israélienne risque de conforter le clivage entre Druzes, dont une large majorité s’oppose à l’ingérence de Jérusalem. Elle met ainsi au grand jour la nouvelle étape de la stratégie de Netanyahou qui poursuit avec ardeur sa fuite en avant.

Le premier ministre israélien veut créer une zone de sécurité au sud de son pays, bien au-delà du Golan puisque la ville de Soueïda se trouve à plus de 200 km du plateau occupé par Tsahal depuis la guerre des six jours. Plus encore, cet épisode porte un coup d’arrêt aux efforts du nouveau pouvoir syrien en direction de Jérusalem.

Trump lui-même était à l’origine de ce virage. A la surprise générale, le président milliardaire a rencontré en mai dernier Mohamed al-Charaa à Riyad, annonçant dans la foulée la fin des sanctions américaines contre Damas. A la suite de ce geste le nouveau patron de la Syrie laissait entendre qu’une normalisation des relations avec Jérusalem était envisageable. Il a fait plusieurs gestes de bonne volonté en faisant arrêter des cadres du Hamas palestinien, en coupant les voies d’acheminement en armes du Hezbollah libanais. Le voilà désormais comme un funambule, contraint d’imaginer un nouvel équilibre : trouver un accord avec les Druzes en les intégrant, à la manière des Kurdes, dans l’administration régionale, tout en reprenant en douceur le contrôle du sud syrien que Netanyahou veut transformer en zone grise.

La normalisation avec Israël n’est plus de mise désormais. En chef de guerre accompli, Netanyahou, fort de ses succès contre l’Iran, vient de montrer sa préférence pour une Syrie divisée, à portée de canon, privée de toute sécurité dans son espace aérien. Un peu comme le Liban, frappé la semaine dernière encore par un bombardement qui a fait douze victimes en dépit du cessez-le-feu.

Pierre Benoit