Telegram : pourquoi l’Europe ne suivra pas la France

publié le 30/08/2024

Arrêter Pavel Durov, c’est bien, le faire condamner c’est autre chose… Par Emmanuel Schwartzenberg

Volker Wissing (FDP), ministre allemand fédéral des transports et des affaires numériques, après une conférence des ministres fédéraux et régionaux responsables de la numérisation- Photo SVEN HOPPE / DPA

Si on l’on se rend sur Telegram, comme des millions d’abonnés, et que l’on recherche sur le signet chat des groupes à proximité, chacun pourra constater que le réseau propose systématiquement de la vente de drogue ou de la prostitution à côté de chez vous. Et cela, quel que soit l’endroit où l’on se trouve dans le monde. Telegram ne propose pas de groupes de discussion culturels, politiques et sociaux.

Messenger, Facebook, Free permettent de rentrer également en contact avec des groupes pratiquant une activité illicite, mais se donner la peine, certes légère, de Telegram, de les rechercher.

Liberté d’expression ?

Ceci explique largement que la procureure de Paris, Laure Beccuau, ait mis en examen en examen Pavel Durov, le créateur de Telegram pour « refus de communiquer les informations nécessaires aux interceptions autorisées par la loi », complicité de délits et de crimes qui s’organisent sur la plateforme (trafic de stupéfiants, pédocriminalité, escroquerie et blanchiment en bande organisée, refus de communiquer les informations nécessaires aux interceptions autorisées par la loi ». Contrairement à ce qu’Elon Musk comme le New York Times ont dit, la liberté d’expression n’a rien à voir dans cette affaire.

En déduire pour autant que Pavel Durov sera, au regard des charges et des preuves pesant contre lui, condamné par les tribunaux français est allé vite en besogne, car la France et l’Europe ne sont pas sur la même longueur d’ondes. Le droit français considère que le responsable d’une plate-forme est passible de poursuites quand le droit européen – qui prime sur le nôtre – le considère irresponsable.

Le droit européen

 La récente loi française sur l’économie numérique du 21 juin 2024 précise que « le fait, pour une personne dont l’activité consiste à fournir un service de plateforme en ligne … utilisant des techniques d’anonymisation … afin de permettre sciemment la cession de produits, de contenus ou de services dont la cession, l’offre, l’acquisition ou la détention sont manifestement illicites est puni de cinq d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende ».

Le droit européen, en revanche, ne prévoit pas la responsabilité des intermédiaires techniques pour les contenus chargés par leurs usagers. Par un arrêt, en date du 22 juin 2021, la Cour de Justice de l’Union européenne (ci-après « CJUE ») rappelle qu’en l’état actuel du droit, « les exploitants de plateformes en ligne ne sont pas, en principe, responsables en cas de publication illicite par leurs utilisateurs de contenus protégés par le droit d’auteur ».Aux termes de cet arrêt, l’exploitant en ligne est exonéré de toute responsabilité « pourvu qu’il ne joue pas un rôle actif de nature à lui conférer une connaissance et un contrôle des contenus téléversés sur sa plateforme ».

Refus de Telegram

Deux thèses françaises, celle de l’Europe qui considère –  si on pousse un peu loin la comparaison que les patrons de Vinci ne sont pasresponsables du trafic de drogue effectué par les go fast ou de la prostitution qui de déroulent sur les aires de parking. Et celle de la France qui remarquer que Vinci n’interdit pas à la police française d’effectuer des patrouilles sur son réseau ou de procéder à des arrestations sur les points de péage.

Ce que Telegram n’autorise pas puisque le réseau s’est refusé à fournir des informations à la Justice sur des réseaux de pédocriminalité, de terrorisme que la plate-forme fait prospérer.

Prostitution, pédocriminalité, drogue

L’opposition entre la France et l’Europe va franchir sur le dossier Telegram un nouveau palier, car l’Union européenne a décidé que la plate-forme serait , comme Alphabet, Amazon, Apple ,Byle Dance, Meta, Microsoft un gate keeper, c’est-à-dire une plateforme numérique acceptée sur le sol européen, et soumis à son droit. C’est d’ailleurs , dans ce cadre que l’Europe a ouvert, d’après le Financial Times une enquête pour déclaration frauduleuse sur le nombre des abonnés européens de Telegram qui serait de 41 millions et non de 45 millions, comme l’Europe l’exige pour lui donner le statut de gate keeper.  De délit de prostitution, de pédocriminalité, de drogue, il n’en est pas question.

La France qui a, pour la première fois, dans le monde, mis en examen un patron de plate-forme en lui imposant un contrôle judiciaire se retrouve donc isolée sur la scène européenne, voire mondiale.

Pavel Durov va donc, aidé des meilleurs avocats, saisir la Cour de Justice Européenne qui condamnera immanquablement la France. Il n’est donc pas exclu que les pouvoirs publics négocient un arrangement.

Réviser le Digital Service Act?

Pour sortir de ce guêpier, le gouvernement français devrait imposer à ses partenaires européens une révision du Digital Service Act. La Belgique, l’Espagne la soutiendront dans cette tentative, mais il faudrait cela disposer d’un pouvoir fort. Au vu des difficultés portant sur la nomination du Premier ministre, on peut parier que le futur locataire de Matignon ne disposera pas de l’autorité nécessaire et qu’Emmanuel Macron ne fera pas de ce dossier une priorité.

La Commission européenne utilise les ressorts qui lui sont offerts par le Digital Services Act européen et, selon les informations du Financial Times, elle envisagerait de classer d’autorité Telegram parmi les « très grandes plates-formes ». Théoriquement, ce statut assorti de nombreuses obligations est réservé aux plates-formes ayant plus de 45 millions d’utilisateurs en Europe. Telegram n’en déclare que 41, mais la Commission soupçonne que ce chiffre a pu être intentionnellement sous-évalué. Si elle fait ce choix, la Commission lancera vraisemblablement dans la foulée une procédure contre Telegram, qui peut se traduire par de lourdes amendes, mais c’est un long processus.

Les 12 infractions constatées