Terres rares et poker menteur

par Bernard Attali |  publié le 26/02/2025

La négociation sur les minerais d’Ukraine est une partie de poker menteur cynique qui déshonore les joueurs.

Un mineur ramasse des pierres contenant du lithium sur un site minier, ici au Nigéria, le 23 janvier 2025. Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), la demande mondiale de lithium sera multipliée par 40 d’ici 2040. (Photo Olympia DE MAISMONT / AFP)

Décidément on s’habitue à tout, même au pire. Au moment où j’écris ce billet le détail de l’accord passé entre les USA et l’Ukraine sur les terres rares n’est pas connu. Mais le « deal » en lui-même n’est-il pas choquant ? La valeur de ces réserves en graphite, lithium, tantale et béryllium est colossale. Or personne ne s’interroge sur la morale de l’histoire. Ou plutôt sur son immoralité. Imposer à un pays ami, en guerre pour sa survie, un oukase digne du tribut exigé d’un vaincu relève d’une mentalité prédatrice.

On dira que l’idée a d’abord été émise… par le gouvernement ukrainien. La raison de cette inversion des rôles ? La quasi-totalité de ces minerais est située à l’est de l’Ukraine, du côté de Donetsk et de Zaporijia. C’est-à-dire en territoire contrôlé par les Russes. En faisant cette suggestion le gouvernement ukrainien entendait faire comprendre que cette promesse ne pourrait être tenue que le jour où il reprendrait contrôle de ces régions. Tout en incitant les États-Unis à protéger ces zones… puisqu’ils y auraient intérêt. Du coup on comprend mieux la réaction malicieuse (ou perfide) des Russes qui ont immédiatement promis au Président américain d’entrer en négociations pour un « deal » comparable. Sous-entendu : puisque ces territoires sont ou resteront… russes.

Bref une partie de poker menteur cynique qui déshonore les joueurs : les Ukrainiens qui mettent leur sécurité aux enchères, les Américains qui font du racket et les Russes qui considèrent avoir déjà pris possession de 20% du territoire ukrainien. Imagine-t-on Churchill en 1940 échanger l’aide de Roosevelt contre les bijoux de la Reine ? Imagine-t-on la France abandonner la Nouvelle Calédonie contre cinquante ans de nickel ?

La guerre, souvent, révèle le vrai visage des belligérants.

Bernard Attali

Editorialiste