Toujours plus riches, toujours plus pauvres

par Valérie Lecasble |  publié le 08/07/2025

En France, les riches sont de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres. Les ultra-riches possèdent 30 % du PIB, tandis que le nombre de pauvres atteint le niveau le plus élevé depuis trente ans. Explosif…

Eric Lombard, ministre de l'économie et des finances, répond au sujet de la taxe Zucman, lors de la séance publique de questions au gouvernement à l'Assemblée Nationale, le 17 juin 2025. (Photo Xose Bouzas / Hans Lucas via AFP)

Ils sont sept et ils ne sont pas de dangereux gauchistes révolutionnaires mais des valeureux lauréats de prix Nobel d’Économie (*) dont le plus ancien et célèbre, Joseph Stiglitz, a longtemps éclairé les débats politiques en France. Dans une remarquable tribune dans le journal Le Monde, ces sept prix Nobel prennent la plume pour inciter ensemble la France à adopter un « impôt plancher sur les milliardaires » qui ressemble à s’y méprendre à la taxe Zucman.

De quoi s’agit-il ? Ils démontrent que, de Bernard Arnault à Elon Musk, les milliardaires paient moins d’impôt en moyenne que les autres : 0,6 % de leur patrimoine en impôt individuel aux Etats-Unis et seulement … 0,1 % en France. Oui mais, ils payent déjà l’impôt sur leurs sociétés, les cotisations sociales, l’impôt sur la consommation, et à trop charger la barque, on ne réussira qu’à les faire fuir vers d’autres pays, s’indigneront les inlassables laudateurs de la politique de l’offre.

Que nenni rétorquent les prix Nobel qui démontrent qu’en additionnant toutes leurs charges fiscales, ces milliardaires paient toujours moins d’impôt, en pourcentage de leurs revenus, que les classes moyennes et les cadres supérieurs. Comment font-ils ? Leur martingale est connue : ils constituent des holdings familiales où ils logent leurs dividendes pour échapper au fisc, une technique qui a choqué aux Etats-Unis où pour éviter la fraude fiscale, elle a été interdite depuis les années 1930.

Rien de cela en France, où ces holdings prospèrent, un privilège auquel Eric Lombard veut mettre fin à l’occasion du budget 2026. Pour lutter contre l’optimisation fiscale et rétablir l’équité, les sept économistes incitent à une mesure simple : instaurer un impôt plancher sur leur patrimoine aux milliardaires qui ne sont « que » 3 000 dans le monde. Avec un taux de 2% – que préconise Zucman -, cela rapporterait 250 milliards de dollars au niveau mondial, 50 milliards en Europe. Certains pays comme le Brésil, l’Espagne, l’Afrique du Sud et le Chili, ont ouvert la voie.

Pour la France, les prix Nobel incitent le gouvernement à reprendre le vote des députés en février, en faveur d’un impôt plancher de 2 % pour ceux qui possèdent plus de 100 millions d’euros, seuil auquel ils paieraient la même part d’impôt qu’un Français moyen. Une mesure d’autant plus juste, disent-ils, qu’en France les ultra-riches possèdent 30% du PIB contre « seulement » 14% à l’échelle mondiale. Quant au risque d’exil fiscal brandi par les opposants, ils le balaient en soulignant que le texte voté prévoit d’être soumis à cet impôt plancher pendant cinq ans après avoir quitté la France. Pourquoi pas dix ans ? surenchérissent-ils.

La concomitance de la publication de cette tribune avec celle par l’INSEE de son étude sur la pauvreté a de quoi interpeller. Pendant que les riches s’enrichissent, vivent en France près de 10 millions d’habitants (en logement ordinaire) sous le seuil de pauvreté, soit 15 % de la population, le niveau plus élevé depuis trente ans. Auquel il faudrait ajouter au moins un million de non-recensés : jeunes en foyer, sans-abri, personnes âgées dépendantes…

L’écart, enfin, est historique concernant les inégalités, entre les 20 % les plus riches qui ont désormais des revenus 4,5 fois supérieurs à ceux des 20% les plus pauvres.

Des pauvres de plus en plus pauvres et des inégalités qui bondissent, cela s’appelle selon les spécialistes, une « dynamique de hausse » de la pauvreté qui atteint un « seuil d’alerte ». Pendant la seule année 2023, 650 000 personnes ont basculé dans la pauvreté qui touche désormais un français sur six… Les plus pauvres étant les familles monoparentales dont près de 35% ne parviennent pas à joindre les deux bouts.

L’explication : les plus modestes n’ont pas bénéficié de la revalorisation du niveau de vie de ceux qui ont trouvé un emploi grâce à un regain de la conjoncture. En haut de la pyramide, les 10% les plus riches se sont enrichis de 2,1% – en particulier grâce au rendement de leurs produits financiers et à la suppression de la taxe d’habitation – ; tandis qu’en bas, les plus pauvres se sont appauvris de 0,9 % – en raison de l’arrêt de mesures exceptionnelles en leur faveur et des très bas revenus des micro-entrepreneurs qui portent à 8,3% des actifs la part des travailleurs pauvres.

Voici donc un pays, la France, où des riches de plus en plus riches, échappent à l’impôt, tandis que les pauvres, de plus en plus nombreux, sont laissés au bord du chemin, même quand ils travaillent. Le résultat de dix années de présidence d’Emmanuel Macron qui a exonéré les plus riches pour 60 milliards d’euros d’impôts financiers (ISF, flat tax, IFI concentré sur l’immobilier…) tandis qu’il a précarisé les revenus du travail (indemnisation des licenciements et du chômage …), ce qui a fait basculer de plus en plus de français dans la pauvreté.

L’impossible équation du budget 2026 sera-t-elle l’occasion – paradoxale – de réintroduire – enfin – davantage de justice dans un pays au bord de l’implosion ?

(*) Daron Acemoglu, George Akerlof, Abhijit Barnejee, Esther Duflo, Simon Johnson, Paul Krugman, Joseph Stiglitz

Valérie Lecasble

Editorialiste politique