Tout nous opposait avec Thierry Ardisson, et pourtant…
Quel bilan ! Thierry Ardisson a habité le paysage audiovisuel pendant quelques décennies, d’émission en émission. « Tout le monde en parle », qui reste dans les mémoires, portait bien son nom.
On a déjà beaucoup dit sur Thierry Ardisson : son goût de la provocation, son impertinence, son ardeur incroyable au travail, ses failles qu’il cachait par un activisme incessant, son imagination télévisuelle qui faisait de lui un personnage insupportable et fascinant, et aussi ses excès verbaux et physiques qui le conduiront à consommer des drogues dont les séquelles finiront par l’emporter.
Il a pris son envol et sa gloire au moment où Arte démarrait. A priori, tout nous opposait. Son style, sa conception du journalisme, son goût pour casser les codes, c’était exactement le type de télévision contre lequel nous luttions : il ne faut pas se fier aux apparences. Invité parfois sur son plateau, j’ai appris à le connaître et à avoir des discussions beaucoup plus profondes avec lui qu’avec beaucoup d’autres. Il était d’abord incroyablement professionnel, respectant la parole donnée, et se tenant strictement à ce qui avait été décidé entre nous auparavant. C’est en tous cas ce que j’ai vécu.
Sur Arte il était très curieux, positif, il avait bien compris qu’il s’agissait d’une tentative nouvelle, audacieuse et, à sa façon, provocatrice, de faire de la télévision. Nous nous retrouvions sur ce point, discutions sans fin de ces sujets, et jamais il ne m’a attaqué, alors qu’en direct, c’eût été si facile. D’autres ne s’en sont pas privés.
Et puis il y a cette invitation, en 2005, à venir parler d’un livre personnel et douloureux, invitation que j’avais beaucoup hésité à accepter, compte tenu de l’ambiance sur le plateau, grosses blagues et claques dans les mains. J’étais arrivé peu sûr de moi, me demandant ce que je faisais là. Il avait été impeccable, délicat et intelligent, il avait réussi à changer radicalement de ton. Ce fut simple et émouvant, je lui en ai été très reconnaissant.
C’est vrai, il a parfois dérapé. Peut-être ai-je eu de la chance, mais à l’heure où nous quitte l’une des grandes figures de la télévision de cette époque, je préfère garder ce souvenir d’un homme contradictoire et excessif, exigeant et curieux, humain surtout et qui mérite les hommages qui lui sont rendus.



