Trois semaines pour éviter la censure
François Bayrou n’a pas réussi à débaucher un seul socialiste mais il a nommé au gouvernement plusieurs ministres dont la sensibilité vient de la gauche. A eux d’obtenir les avancées indispensables pour décrocher l’accord de non-censure des socialistes.
Désormais, tout commence. Homme de convictions, François Bayrou a foi dans le centrisme, et est obsédé par la réduction de la dette, « une honte », affirme-t-il car elle revient à se défausser de sa responsabilité sur les générations futures. Mais quand on lui demande comment la diminuer, il transmet le bébé au gouvernement : lui donne la direction, les ministres exécutent. D’où l’importance qu’ils aient de l’expérience.
Dans cinq grands domaines, il a nommé des personnalités dont l’expérience vient de la gauche même si le Premier secrétaire du PS ayant promis d’exclure tout membre de son parti tenté d’entrer au gouvernement, François Bayrou n’a pas pu débaucher un seul socialiste.
On passera sur Elisabeth Borne nommée numéro deux du gouvernement et ministre d’Etat en charge de l’Education nationale, qui n’est pas le cas le plus probant. Ex-directrice de cabinet de Ségolène Royal, les deux femmes se sont écharpées avant qu’Elisabeth Borne ne s’engage dès 2017 en macronie.
Mais juste derrière elle figure un autre ministre d’Etat, lui aussi ex-Premier ministre, Manuel Valls dont l’entrée au gouvernement est une surprise. Il est originaire de la deuxième gauche, celle de Michel Rocard dont il était membre du cabinet lorsque celui-ci avait réussi à signer les accords dits de Matignon, pour rétablir l’ordre en Nouvelle-Calédonie. Une certaine légitimité donc pour le nouveau ministre des Outre-mer qui aura du pain sur la planche entre la crise à Mayotte et celle de Nouvelle Calédonie sans oublier les grèves à répétition en Martinique ou en Guadeloupe.
Moins connu mais rouage stratégique, Eric Lombard devra à Bercy redresser les comptes de la nation. Il est un « technocrate » pour les spécialistes de la politique mais pas n’importe lequel. Membre des cabinets des ministres de gauche Louis Le Pensec puis Michel Sapin, il bifurque vers la direction générale des grandes entreprises jusqu’à prendre la tête de la Caisse des Dépôts et Consignations, « le trésor du pays » selon François Bayrou qui se plaît à souligner que le groupe travaille sous l’autorité du Parlement. Financier de carrière, Eric Lombard veut réduire la dette et le déficit mais il est moins radical que Michel Barnier. Tout comme François Bayrou, il ne fait pas un dogme du déficit à 5% en 2025 et compte utiliser une méthode plus douce. Il navigue dans l’administration comme un poisson dans l’eau, et connaît depuis longtemps Olivier Faure avec qui il entretient de bonnes relations. Pierre Jouvet, secrétaire général du PS, reconnaît ses qualités même s’il craint qu’il ne soit entravé à Bercy par plus libéral que lui. Il a aussi l’oreille d’Emmanuel Macron qui venait de le reconduire sur le fil à la Caisse des Dépôts.
François Rebsamen récupère en complément les territoires et la décentralisation. Vieux routier de la politique, proche de François Hollande, il a quitté récemment le giron de la gauche pour rejoindre la macronie. Maire de Dijon, il connaît les enjeux des collectivités territoriales dont son ami François Bayrou a fait une priorité.
Pour compléter le tableau, Juliette Meadel, à qui avait été confiée la charge des victimes après les attentats de 2015 récupère le portefeuille de la Ville. Avec Manuel Valls et François Rebsamen, elle est la troisième personnalité à avoir été ministre sous François Hollande.
Cet attelage suffira-t-il à contrebalancer la politique droitière menée à la sécurité et à l’immigration par les Retailleau, Darmanin et consorts ? Surtout, réussira-t-il à obtenir des socialistes le fameux accord de non-censure dont le gouvernement a tant besoin pour ne pas être soumis aux diktats du Rassemblement National ?
Cela dépendra des concessions que le gouvernement de François Bayrou sera prêt à accorder à la gauche modérée. Chacune à leur manière, les quatre personnalités issues de la gauche disposent du courage et de la ténacité nécessaires. Il leur reste trois semaines pour l’imposer et tenter d’éviter la censure du gouvernement dès le 16 janvier dans la foulée du discours de politique générale de François Bayrou le 14 janvier.