Trump, « aspirant dictateur » ?
Témoignages d’anciens proches, défections ou soutiens paradoxaux qui font chorus à l’énormité de certains faits telle l’invasion du Capitole : l’adhésion de Donald Trump au système démocratique semble réellement poser question…
Il paraît entendu, aux yeux du lecteur européen de bonne volonté, que le degré zéro de l’engagement électoral, aux USA, est l’acceptation du caractère à la fois indépassable et irréfragable du pacte démocratique qu’ils ont toujours affirmé illustrer et défendre.
Trump, en somme, ferait évidemment siennes les valeurs constitutives de ce pacte, le pire à l’exception de tous les autres.
Quant à ses électeurs, ils ne le suivraient que dans cette mesure…
Est-ce si évident ? Et si Donald Trump préparait l’avènement aux États-Unis d’une dictature, réalisant le rêve, matérialisé par Philip Roth dans son uchronie The Plot against america, de l’America First Committee de Charles Lindbergh ?
Et s’il aspirait à complaire à une Russie dont tout porte à croire qu’elle « le tient » ?
Et s’il voulait s’allier à tout ce que « sud global » et Europe comptent de partisans de l’illibéralisme et de contempteurs de la gendarmerie libérale, « éclairée », des affaires mondiales ?
Quoi qu’en disent un certain nombre d’experts américains qui dédramatisent et font du trumpisme un élément « noir » classique du nuancier politique américain, il est assurément plus aisé de soutenir la thèse alarmiste de la rupture que celle de la continuité.
Certes, Trump semble la proie de l’instinct, davantage que de l’esprit d’organisation qui conduisit Hitler – dont il semble ne pas rejeter tout le « bilan » – ou Mussolini au pouvoir.
Certes, il n’est pas antisémite, ne rêve pas d’un retour maurassien ou franquiste aux valeurs chrétiennes ancestrales qu’il ne cesse de fouler aux pieds, n’est pas davantage « socialiste » et se fiche comme d’une guigne de la condition ouvrière.
Pourtant la liste est longue des travers despotiques de Donald Jr.
La cure de corruption (voisinage étrange avec les mafias et les services secrets étrangers), de réification subséquente de ses prises de position internationales (OTAN, Ukraine, Union européenne, OMC, Accords de Paris…) qu’il impose à son pays, la subornation du parlementarisme à son profit électoral ou personnel qu’il y ourdit, l’inféodation patente de la justice à ses intérêts qu’il y suscite, son refus d’admettre les résultats électoraux, son culte de la puissance, du bon plaisir, de la violence, de l’injure, du machisme le plus inepte, son hostilité à toute forme de parrhésie et son goût symétrique du mensonge le plus éhonté, son machiavélisme primaire revendiqué, la vassalisation dont il semble rêver d’une armée nationale devenue sa milice, son recours à l’hostilité de la demos contre les institutions filles de l’État de droit, la radicalité paradoxale de sa soumission aux desiderata des églises : tout semble bien le ranger dans la catégorie des autocrates, des « aspirants dictateurs » qu’évoquait récemment son ancien chef d’État-major Milley, le désignant de façon à peine sibylline.
En un mot, ses partisans à part, chacun semble s’accorder aujourd’hui – y compris au sein de son camp – à voir en Trump un réificateur narcissique, intempérant et brutal de la res publica américaine.
Comment se peut-il donc que ses MAGA lui demeurent à ce point fidèles ?
Comment se peut-il qu’il ne « dévisse » pas dans les sondages ?
Il faut à l’évidence y voir le signe d’une révolte devant une agitation démocratique et bureaucratique stérile, soulignée et organisée par Trump, impuissante à combler les inégalités massives qui frappent un pays en pleine transition industrielle et culturelle, à aménager de façon équitable un immense territoire où ne se coudoient plus bénéficiaires et victimes de ces transitions.
Il faut y voir l’aigreur du déclassement, la peur d’une perte d’identité liée aux revendications « woke » d’une jeunesse dorée, d’une population racisée, de féministes dont les MAGA ne faisaient jusqu’aux années 2000 que tolérer le chuchotement.
Il faut y voir le fantasme de l’immigré, du remplacement ethnique et du dumping social.
Il faut y voir la hantise viriliste d’une « féminisation » des mœurs, d’une revanche de la féminité méprisée et de l’inversion honnie sur le patriarcat en majesté des jours heureux.
Il faut y voir l’aigreur d’une population qui se sent reléguée au second rang des priorités d’une Amérique engagée en faveur de lointains inconnus.
Il faut y voir le ressentiment « sudiste » d’une population qui se sent victime de décisions centrales héritées du « jacobinisme » nordiste.
Il faut y voir, en somme, la manifestation d’une amère énergie du désespoir, du goût naturel du sujet en déréliction, honteux de sa condition, pour cet homme providentiel qui chante la fierté qui doit être la sienne, non pas de faire ce qu’il fait, mais d’être ce qu’il est.
Oui, Trump est sans doute tout au bord de tenter d’instaurer aux USA une dictature instinctive, primesautière et ubuesque.
Rien ne semble pouvoir dissuader les millions de victimes d’une modernité aveugle de faire prévaloir ce qui n’est pas tant l’affirmation d’une orientation politique que d’une souffrance intime.