Trump battu par les siens
Les outrances grotesques du milliardaire finissent par irriter plusieurs pans de l’opinion républicaine, jusqu’à entraver les chances d’une victoire longtemps annoncée.
Les déclarations farfelues de Donald Trump n’y pourront rien changer : les réfugiés haïtiens de Springfield (Ohio) ne mangent ni chiens ni chats. En revanche, les propos délirants du milliardaire et le tour extravagant qu’il confère à sa campagne contraignent les dignitaires républicains à avaler un nombre par trop écœurant de couleuvres.
Aussi les défections se multiplient-elles au sein du Grand Old Party, bridant chaque jour davantage la campagne de son candidat. Nombre de Républicains s’apprêtaient à exciper des seules faiblesses du valétudinaire Biden pour voter Trump. Les improvisations mensongères, les foucades injurieuses et le maximalisme d’un programme susceptible, s’il venait à s’appliquer, de porter préjudice aux intérêts de leurs électeurs, les ont conduits à changer de pied. Plus de deux cents caciques républicains ont ainsi déserté la campagne Trump pour soutenir Kamala Harris, arguant de leur volonté de parer à la calamité d’une réélection de l’ancien président.
Pas plus qu’en France, la « ruralité » ne goûte aux USA l’excentricité politique. Héritier des puritains « whigs », le parti de Lincoln, qui a sa préférence, est depuis longtemps un parti conservateur adepte de la modération des chefs. Or, si Trump convoque avec ferveur les sujets de l’immigration et du protectionnisme, dont les « rednecks » sont friands, il heurte aussi par ses dérapages cette part de l’opinion soucieuse d’ordre, de pérennité et de tenue.
On l’oublie parfois : le sectarisme de Trump et sa démesure contrarient souvent les principes religieux d’une partie de son électorat, sensible à ses thèmes, mais aussi pétri de bigoterie. Depuis 2020, époque du COVID et de l’apogée de la brutalité trumpiste dénoncée par Stephanie Grisham, l’ancienne porte-parole de Melania, l’épouse de l’ogre, l’électorat catholique a par exemple pris un virage « social » et s’est rapproché du Parti démocrate en dépit de ses penchants « woke ». Au grand dam de la très républicaine conférence épiscopale américaine, une partie des électeurs attachés à la défense des valeurs chrétiennes traditionnelles sont effrayés par la fuite en avant des « radcaths », les « radicaux catholiques », et rejoignent un parti qui avait leur faveur durant les Trente Glorieuses.
Déjà apaisés par la modération de Biden, ils sont rassurés par l’entrée en campagne de Kamala Harris, dont se dévoile la nature « centriste ». Ils apprécient en particulier la manière dont elle a contenu les franges les plus urticantes de son camp, menées par une Alexandria Ocasio-Cortez qui fait ostensiblement allégeance à la nouvelle candidate.
Tout aussi gênant pour Trump est son poutinisme affiché qui finit par irriter les reaganiens, des boomers, anciennes figures de l’ère Bush, comme Dick Cheney, Mitt Romney, Mike Pence, John Giles, Lindsey Graham, ou de jeunes nostalgiques tels Mike Johnson, Jimmy Mc Cain, Adam Kinzinger ou Liz Cheney. Pour ceux-là, un « rouge » reste un rouge et le rayonnement mondial de la bannière étoilée en temps de guerre un totem. Le repli américain promis par Trump les rebute.
En outre, un nombre croissant d’élus républicains, favorables aux intérêts du business, craignent une fuite en avant anti-immigrationniste qui contrarie leur recherche d’une main d’œuvre bon marché et leur habitude du dumping salarial. Ils redoutent l’interventionnisme wilsonien, mais ils craignent aussi sa disparition au profit d’un isolationnisme trumpien dommageable aux intérêts américains au dehors. S’aliéner l’Europe, lâcher l’Ukraine, charger la mule chinoise, outrer jusqu’à l’absurde le soutien à l’extrême-droite israélienne au risque de participer à l’embrasement d’une région où pullulent relais, financeurs et actionnaires, n’est-ce pas menacer la prospérité des acteurs économiques dont le GOP s’est fait le héraut ? Le 6 septembre dernier, CNBC publiait la lettre de soutien de 88 hommes d’affaires de premier plan à Harris. Nikki Haley, elle-même, sommité républicaine et rivale malheureuse de Trump dans les primaires, décerne à la candidate de l’âne, l’emblème du Parti démocrate, de vibrants lauriers…
Le choix par Trump de son vice-président, le fruste et réactionnaire Vance, n’est évidemment pas de nature à freiner ce mouvement dont la fréquentation massive du compte X « Republicans against Trump » atteste l’irréfragable et bien rassurante ampleur. Trump battu par les siens ? L’évolution des sondages, qui montre un avantage de plus en plus net pour Harris, renforce chaque jour cette délectable hypothèse.