Trump choisit ses pauvres

par Pierre Benoit |  publié le 03/02/2025

En suspendant brutalement toute aide au développement, pour la rétablir ensuite au compte-goutte, l’administration poursuit des objectifs idéologiques bien précis.

Le président Donald Trump participe à une cérémonie de signature après son investiture le 20 janvier 2025 dans la salle du président au Capitole à Washington. (Photo Getty Images via AFP)

Comme annoncé pendant la campagne, le président américain mène à la hussarde l’application de son programme de rupture. Il est entré de week-end dans la deuxième phase, aux conséquences géopolitiques incalculables. La phase 1 consistait à satisfaire son électorat avec des mesures démagogiques spectaculaires, le nouveau président américain est allé au plus simple : virer les migrants clandestins. Quelques gros porteurs de l’US Air Force avec des photos bien cadrées auront suffi pour frapper les imaginations. Laissons de côté la fin du droit du sol qui pose un problème constitutionnel autrement plus ardu.

Pour la phase 2, Donald Trump envoie plusieurs scuds en direction de l’étranger : le Mexique et le Canada se voient imposer une augmentation des tarifs douaniers de 25%, la Chine est taxée à hauteur de 10% … et l’Europe attend son tour. Sans doute n’est-ce-là qu’un avertissement. Car le temps fort de cette deuxième phase est la suspension de tous les programmes d’aide à l’étranger, avec une exception notable concernant le soutien alimentaire à l’Égypte et Israël, pour ne pas contrarier la diplomatie régionale de Washington. Certes, ce moratoire est prévu pour 90 jours, le temps de réviser l’ensemble des programmes concernés, mais nul doute que beaucoup seront rayés des listes.

Il a suffi d’une seule signature de Donald Trump le 20 janvier pour mettre à bas l’ensemble de l’aide mondiale au développement : Washington est le premier donateur à l’échelle de la planète avec des dotations de plus de 64 milliards de dollars, sur les programmes d’aide humanitaire, de renforcements des capacités gouvernementales, de soutien aux sociétés civiles. Précision : les USA sont les premiers donateurs en volume financier alors que, rapportée au PIB américain, l’aide se classe en 24ème position du tableau mondial des donateurs.

On imagine l’effroi dans les 158 pays bénéficiant de l’Usaid. L’effroi et la panique en Afrique, dans les pays en crise comme le Soudan, l’Éthiopie, le Nigéria, la République Démocratique du Congo. Pour eux, le soutien américain représente la moitié de l’aide humanitaire annuelle. Et l’Afrique n’est pas la seule concernée par le décret du 20 janvier. L’inquiétude touche aussi l’Amérique centrale en proie aux violences endémiques, une des sources de l’immigration, mais aussi l’Afghanistan ou l’Ukraine en conflit avec la Russie. Certes, pour l’instant du moins, le programme d’aide militaire à Kiev n’est pas concerné, mais le département d’Etat gère plusieurs projets à destination de la société civile dans le domaine de la santé, de l’éducation, de la reconstruction. Le président Zelensky a déjà négocié quelques exemptions avec le secrétaire d’état américain Marco Rubio, elles ne concernent que l’aide d’urgence pour les abris et les médicaments. Pour le reste, Kiev devra se tourner vers un soutien accru de la part des Européens.

Dans une note interne du Département d’État annonçant la suspension de l’aide aux 158 pays bénéficiaires, il est précisé que « tout usage de fonds pour promouvoir la diversité, l’équité, l’inclusion doit cesser ». La décision de Trump n’est pas une simple mesure pour resserrer la dépense publique, elle porte aussi une charge idéologique précise.

Après la révision générale des programmes annoncée, certains pays retrouveront plus tard les bonnes grâce de l’aide américaine. D’autres non. La Chine, n’en doutons pas, pourra alors profiter de l’occasion pour élargir « les routes de la soie » en renforçant son aide dans les pays du Sud laissés de côté par les États-Unis.

La France aurait pu tirer avantage de ce vide créé par Washington dans certains pays. Elle n’en aura sans doute pas les moyens. Les dotations de l’aide au développement viennent d’être réduites de 40% dans le prochain budget de François Bayrou.

Pierre Benoit