Trump défigure l’Amérique

publié le 15/04/2025

Dans toute campagne électorale américaine, les candidats opposent Wall Street à Main Street, c’est-à-dire la bourse à l’économie réelle des « vraies gens ». Donald Trump n’échappe pas à la règle. Par SÉBASTIEN LÉVI

Donal Trump à Washington, le 14 avril 2025. (Photo de Brendan Smialowski / AFP)

Si Trump a su séduire lors de sa campagne à la fois les milieux financiers et les classes populaires, l’épisode des droits de douane avec sa capitulation en rase campagne a montré qu’il dépendait avant tout de Wall Street, et plus globalement des marchés financiers internationaux, ne pouvant échapper à la réalité macro-économique.

Il a donc cédé à Wall Street, tout en pénalisant Main Street, avec le maintien de droits de douane massifs pour les produits venant de Chine qui vont considérablement affecter le pouvoir d’achat des classes populaires ayant contribué à sa victoire (la majorité des personnes gagnant moins de 50,000 dollars par an ont voté pour lui)

Trump ressort de cette séquence humilié et affaibli, donnant un sentiment d’impuissance et le faisant apparaitre comme un perdant, l’infamie ultime pour lui. Le trumpisme s’exprime dans l’action, la disruption, aussi irresponsable soit-elle, et nombre de ses partisans disent que « lui au moins met un coup de pied dans la fourmilière » et qu’il « tient ses promesses ».

Si Trump perd sa capacité à faire bouger les lignes, quitte à tout casser, il perd son ADN politique et malgré ses rodomontades pour expliquer son revirement, il en a parfaitement conscience.

Empêché, au moins temporairement, sur l’économie et politiquement affaibli, il est possible qu’il veuille manifester sa force et même sa brutalité sur les autres grands thèmes de sa campagne victorieuse : l’immigration, et aussi plus généralement les sujets « culturels » comme le wokisme.

Cette bataille sur ces sujets se traduit par l’expulsion de migrants vénézuéliens vers un prison de haute sécurité au Salvador malgré un avis contraire de la Justice, des arrestations arbitraires d’étudiants étrangers propalestiniens, des pressions sur le financement des universités, ou encore, juste après sa volteface sur les droits de douane, la signature d’un décret présidentiel s’en prenant à un opposant, Miles Taylor, ou la décision de rembourser les émeutiers du 6 janvier ayant payé pour les dégâts qu’ils ont occasionnés.

Trump pourrait ainsi reprendre le contrôle du récit médiatique et apparaitre comme l’homme qu’il veut être par-dessus tout, volontaire, dans l’action, sans contrainte y compris de l’« État profond » et les « juges corrompus » qui souhaiteraient l’empêcher d’agir, pour ainsi effacer l’image de sa capitulation face aux marchés.

Ce recentrage sur ces sujets « culturels » permet non seulement de remobiliser son électorat populaire, mais aussi de détourner son attention, alors que la Chambre des Représentants vient de faire voter un paquet fiscal extraordinairement favorable aux plus riches (déjà bien traités par Trump dans l’épisode des droits de douane), avec de surcroit des coupes sombres dans des programmes sociaux comme Medicaid et Medicare.

Malgré ses atteintes à l’État de droit et aux libertés pour mener sa guerre culturelle, Trump n’a été que tres peu contraint sur ces sujets, traduisant la faiblesse des institutions (avec notamment l’abdication pure et simple du Congrès) et des contrepouvoirs prévus a cet effet, et cela pourrait l’inciter à aller plus loin pour ressouder son électorat, et mener encore plus les États-Unis vers un régime autocratique.

Le recul temporaire et partiel de Trump sur les droits de douane s’explique principalement par la crainte de voir une hausse des taux d’intérêt entretenue par une défiance des marchés financiers envers la signature américaine. Or il n’existe pas de sanctions des marchés en cas de manquement à la liberté d’expression, pas d’agences de notation de l’État de droit, et globalement pas de « taux d’intérêt de la démocratie » marquant une défiance envers la « signature de la démocratie américaine » …

Si la signature américaine en matière financière a été ébranlée par l’incompétence et l’incohérence de Trump et de ses équipes, il est possible que celle concernant la démocratie et l’État de droit soit elle irrémédiablement abimée, sous les coups de boutoir de Trump restés sans réponse en l’absence de contre-pouvoirs forts et efficaces. Pourtant, la signature démocratique et la sécurité juridique sont primordiaux pour un investisseur, et cruciaux pour la prospérité et la puissance d’un pays qui s’en réclame depuis toujours.

Sur ce sujet, comme sur tant d’autres, l’impulsivité, l’absence de prise en compte de la complexité du monde et du respect d’un certain impératif moral par Trump et ses équipes coûteront tres cher au monde, et encore plus cher aux Américains.

Sébastien Lévi