Trump, des mots aux maux

publié le 20/04/2025

En s’attelant sans relâche à créer une « réalité alternative », en changeant le sens des mots, Donald Trump et ses équipes poursuivent un objectif politique clair et assumé : justifier la répression de leurs opposants.

PAR SÉBASTIEN LÉVI

L'épouse de Kilmal Abrego Garcia appelle à son retour devant la Maison Blanche, le 14 avril 2025. Originaire du Salvador, Kilmal a été arrêté par erreur, considéré comme un membre de gang. Il a ensuite été expulsé vers le Salvador où il est actuellement détenu. (Photo Takayuki Fuchigami / Le Yomiuri Shimbun via AFP)

La novlangue trumpienne n’est pas seulement la manie du mensonge et de l’hyperbole. Elle remplit une fonction concrète et dangereuse. Pour le gouvernement américain, les adversaires du pouvoir actuel sont des « ennemis » et des « gens qui détestent l’Amérique ». Mention spéciale pour les médias, qualifiés « d’ennemis du peuple ». À l’inverse, ses partisans sont, sans surprise, de « bonnes personnes », des « patriotes » … Même les plus infréquentables d’entre eux comme l’influenceur masculiniste Andrew Tate.

Un immigré en situation régulière, Kilmar Abrego Garcia, à qui Laurent Joffrin a consacré un éditorial dans LeJournal, est ainsi traité de « terroriste » ou de « membre de gang », avant d’être arrêté arbitrairement et envoyé au Salvador par erreur. Dans le même temps, un manifestant pro palestinien est machinalement assimilé à un « sympathisant du terrorisme », voire plus simplement à un « terroriste ».

Les juges ? Les grandes universités ? Des « gens malades », des « ratés », des « cinglés d’extrême gauche » (la liste n’est pas exhaustive). Autant de raccourcis grossiers que le gouvernement invoque pour pas appliquer des décisions de justice, jugées illégitimes car allant à l’encontre de la volonté du peuple.

Derrière des outrances tristement ordinaires nourrissant une surenchère narrative incessante, se dessine une pente inquiétante aux effets déjà très concrets pour des immigrés légaux ou des étudiants étrangers renvoyés dans leur pays. Sans oublier les financements d’universités coupés, ou les cabinets d’avocats ayant instruit des procès contre Trump menacés de représailles.

L’intimidation menace non seulement les « criminels » mais aussi ceux qui les défendent ou les soutiennent. Défendre aujourd’hui les droits des étrangers illégalement expulsés est progressivement assimilé à un soutien aux gangs de la drogue contre les « bons Américains », quand militer pour la liberté de parole devient un soutien au Hamas. Le Monsieur antiterrorisme de l’équipe Trump, Sebastian Gorka, vient ainsi de déclarer que le soutien au terrorisme était passible d’emprisonnement.

Le gouvernement américain, s’essayant sans complexe à des méthodes dignes de régimes dictatoriaux, tenterait-il de rendre acceptables de futures arrestations d’opposants en les accusant des pires méfaits ? Et lorsque ces arrestations auront lieu, vers qui les personnes mises en cause se tourneront-elles ? Nombre des cabinets d’avocats menacés par Trump lui sont désormais soumis, et ces « ennemis de l’intérieur » de l’Amérique n’auront pas plus droit au « due process » que les malheureux Salvadoriens ou Vénézuéliens.

Le champ lexical de plus en plus agressif distillé par l’administration Trump contre ses adversaires révèle les maux d’une Amérique incapable de freiner un autocrate en roue libre. Dans un terrible paradoxe, cette peur étreint aujourd’hui ces contre-pouvoirs, affaiblis ou humiliés les uns après les autres. Dans un aveu à la fois insupportable et troublant de sincérité, la sénatrice républicaine modérée de l’Alaska Lisa Murkowski a même avoué sa peur de Donald Trump et de son gouvernement.

Dans ce climat de peur et de chasses aux ennemis de l’intérieur, il ne reste qu’un dernier garde-fou : le peuple. C’est en substance l’espoir que nourrit David Brooks, éditorialiste conservateur du New York Times, dans sa dernière tribune, où il estime que seule une résistance massive et radicale du peuple pourrait enrayer la machine démagogue en marche outre-Atlantique. Que ce soulèvement populaire survienne ou non dans un futur proche, les enjeux sont clairs. Mal les nommer ajouterait à coup sûr au malheur américain qui se joue aujourd’hui.