Trump, dynamiteur du libre-échange

par Gilles Bridier |  publié le 17/01/2025

Le protectionnisme affiché du nouveau président des États-Unis va déboucher sur un bouleversement du commerce international.

Xi Jinping à Macao, le 19 décembre 2024 et Donald Trump à Washington, le 13 novembre 2024. (Photos de Anthony Kwan and Allison Robbert / AFP)

Un chapitre de trente années de libre-échange va bientôt se refermer. Selon le Centre d’Études Prospectives et d’Informations Internationales (CEPII), l’investiture de Donald Trump, 47ème président des Etats-Unis, fait planer la menace d’un bouleversement des échanges mondiaux et d’une guerre commerciale internationale inédite. Sans surprise, d’ailleurs : en annonçant un relèvement de 10 à 20% des droits de douane sur tous les produits importés, et même de 60% pour les importations chinoises, le président élu a annoncé la couleur avant même de réintégrer la Maison Blanche, ce 20 janvier. 

Tout juste trente ans après la création de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), le resserrement du protectionnisme américain va porter un coup fatal aux dispositions prises depuis 1995 pour développer le libre-échange sur la base du multilatéralisme. Car le principe de fonctionnement de l’OMC repose sur le consensus et le compromis pour régler les litiges commerciaux. Si les décisions de la future administration Trump doivent tomber comme autant de couperets pour favoriser la réindustralisation du pays, c’est l’esprit même du fonctionnement de l’OMC qui est battu en brèche. Et tant pis si le consommateur américain est, en fin de course, perdant. 

Deux géants protectionnistes face à l’Europe

On assiste à un combat de titans. Face aux États-Unis qui ont exporté pour quelque 2 000 milliards de dollars en 2023, la Chine a revendiqué la même année 3 300 milliards de dollars de ventes à l’étranger. Mais l’Union Européenne fait front, se positionnant entre les deux géants, avec 2 700 milliards de dollars d’exportations extra-communautaires. Prise globalement, l’UE peut relever le défi, alors que, isolément, ses membres ne jouent pas dans la cour des grands. Les États-Unis comme la Chine l’ont bien compris, préférant avoir face à eux une Europe fragmentée plutôt qu’unie. Aussi, pour l’UE, les rapports de force découlant de cette nouvelle guerre commerciale peuvent être déterminants. Il ne va plus suffire de se revendiquer souverain, il va falloir passer aux actes. 

Ainsi, l’Europe va devoir répliquer aux États-Unis qui, par le biais de l’Inflation Réduction Act (IRA) doté de 370 milliards de dollars, subventionnent l’installation sur leur territoire d’entreprises étrangères. C’est le prix fixé par Washington pour pouvoir accéder au marché américain en échappant au relèvement des taxes. Bruxelles a déjà présenté des dispositifs pour dissuader les entreprises européennes de s’expatrier. Des aides existent, comme dans le cadre du plan de relance NextGenerationEU mis en place après l’épidémie de Covid et doté de 806 milliards d’euros pour la période 2021-2027. De la même manière, le Pacte vert industriel, bâti en 2023, vise très directement à répliquer à l’IRA américain. Mais l’attractivité des aides de Bruxelles souffre du morcellement du marché européen, tant au niveau normatif que réglementaire, alors que le guichet américain ouvre sur un immense marché beaucoup plus homogène. 

Par ailleurs, la nouvelle donne du commerce international (avec le relèvement des tarifs douaniers américains) poussera la Chine à se reporter sur l’Europe pour compenser la chute de ses exportations aux États-Unis. De sorte qu’à l’horizon 2030, le déficit commercial de l’Europe avec la Chine pourrait quintupler, désorganisant des pans entiers de l’activité industrielle de l’UE. Pour se prémunir contre l’offensive chinoise, l’Europe prend d’ores et déjà des mesures – comme les taxes sur les voitures électriques fabriquées en Asie – afin de ne pas reproduire les erreurs commises sur les panneaux solaires. Mais il en faudra plus pour stopper le rouleau compresseur chinois.

Dans ce processus de « démondialisation » comme le qualifie le Fonds Monétaire International, le protectionnisme l’emporte. Déjà, le commerce international qui progressait à raison de 4% à 6% chaque année, s’affaisse. Le repli américain selon le dessein de Donald Trump va modifier les échanges mondiaux. L’Europe, poreuse à tous les courants, va devoir s’adapter au nouveau rapport des forces.

Gilles Bridier