Trump et la mécanique des expulsions
La promesse d’expulsion massive des immigrants illégaux, assénée au Madison Square Garden en novembre dernier dans une ambiance aussi hystérique qu’anxiogène, fait fi de beaucoup de paramètres. L’escouade de la Maison Blanche est-elle en mesure de tenir son pari au détriment des réalités pratiques, constitutionnelles, économiques et sociétales ?

Moins de 12 millions de personnes vivent en situation irrégulière sur le territoire des Etats-Unis, dont 80% depuis plus de 10 ans. Parmi ceux-ci, plus de la moitié sont originaires du Mexique. 3 millions bénéficient d’une protection temporaire au nom du droit d’asile – également dans le viseur de Trump. La frénésie de décrets présidentiels visant à l’expulsion généralisée prend appui sur une loi du XVIIIe siècle, permettant d’expulser des ressortissants d’une nation contre qui les États-Unis sont en guerre, sans passer par le congrès. Première difficulté : l’oncle Sam n’est pas en guerre ouverte contre le Mexique ou les pays de l’isthme américain. Ce ressort peut donc faire l’objet de contestations en temps de paix, même si la batterie de juristes de la Maison Blanche compte assimiler la puissance des narcotrafiquants à une puissance étatique.
Encore faudrait-il une fois ce premier cap franchi, mobiliser une logistique de guerre, estimée à trois fois les effectifs actuels à l’heure où il s’agit de tailler dans les ressources de l’État fédéral. Trump entend utiliser les gardes nationaux, les douanes, les polices locale et fédérale. En admettant que ces moyens combinés puissent être utilisés, une capacité multipliée par 20 serait nécessaire à la détention des migrants en plus de 1000 nouvelles salles d’audience.
Vient aussi s’ajouter la question du temps qui heurte une fois encore les effets de manche du chef MAGA. L’expulsion ne peut se faire sur le champ et sans procédure, à l’identique de l’étude des dossiers d’asile, sans compter le bras de fer avec les pays qui interdisent les vols de rapatriement de leurs ressortissants, comme le Venezuela, la Mauritanie ou l’Inde par exemple. La détention, elle, ne peut être prorogée à l’infini, à moins que les États-Unis abolissent leur État de droit et les conventions internationales qu’ils ont paraphées.
Une fois ces deux barrières levées, la question du coût d’une telle folie, antinomique à l’histoire américaine, intervient directement : 315 milliards de dollars ou un étalement sur deux mandats, renchéri à 88 milliards annuels. Adviennent les effets induits pour l’économie américaine et les dissentions avec une partie des milieux financiers et patronaux, dont les estimations varient.
Les États les plus touchés en termes d’insuffisance de main d’œuvre, seraient la Californie, le Texas et la Floride avec une baisse du taux d’emplois donc de la production et une inflation supplémentaire jusqu’en 2040. Les secteurs de la construction, de l’agriculture, du tourisme et des industries manufacturières pâtiraient particulièrement d’une telle politique de fermeture généralisée, sans compter que près d’un million de citoyens américains sont mariés à un ou une sans papier et que 5,5 millions d’enfants ont un parent possiblement expulsable.
Que retenir de cette exposition froide et brutale de la proposition phare du leader de l’extrême-droite mondiale ? En toute bonne logique, elle est inapplicable en totalité et se heurte déjà à des recours juridiques d’ONG et d’États, des impossibilités pratiques, des difficultés administratives quand bien même serait-elle soutenue par un déferlement idéologique haineux et pérenne de la part de la middle class blanche en souffrance.
Elle aura des effets sur le Canada voisin, qui devrait servir de destination de délestage pour une partie des migrants illégaux, habités par la peur. Nul doute que Trump intègre cette donnée. Bien sûr, la prudence s’impose. Bannir une contre-révolution féroce démantelant les acquis démocratiques et l’État de droit ne peut plus être exclu a priori. Néanmoins, au pays du dollar et de la réussite individuelle portée en étendard, on peut raisonnablement miser sur une série de difficultés rapprochées dès lors que l’économie sera percutée.
Pour l’exigence des droits fondamentaux et de la dignité humaine, malheureusement, on repassera. Les conditions infâmes des premières expulsions à destination du Brésil et de la Colombie, indiquent, en revanche, la mesure du recul idéologique et du défi à relever pour les démocrates.