Trump : gouverner, c’est mentir
L’affaire des fuites de secrets militaires dont a bénéficié un journaliste d’opposition montre une nouvelle fois que l’administration entretient avec la vérité les mêmes rapports que les pires des dictatures.
À la suite d’une erreur consternante d’amateurisme, Jeffrey Goldberg, rédacteur en chef du magazine Atlantic, est invité à participer à une réunion ultra-secrète destinée à mettre au point l’attaque américaine contre les milices Houthies qui entravent le trafic maritime en Mer Rouge. Il raconte sa baroque aventure dans un article, dont les éléments factuels sont aussitôt confirmés par les autorités américaines, qui plaident une « erreur » incompréhensible.
Ce qui n’empêche pas le gouvernement de Donald Trump de couvrir l’énorme gaffe par une série de mensonges plus grossiers les uns que les autres : l’information est fausse, dit un ministre, elle a été diffusée par un journaliste louche et hostile (alors que les services officiels viennent de l’authentifier) ; aucune information sensible n’a été diffusée, dit la Maison-Blanche (alors que la conversation entre ces hauts-responsables comprend la désignation des cibles et le détail de l’opération, que le journaliste a gardés pour lui) ; Donald Trump quant à lui, déclare qu’il n’est pas au courant, (alors que l’affaire fait depuis 24 heures la une de tous les médias).
Plus caricatural encore : pendant sa campagne victorieuse de 2016 contre Hillary Clinton, Trump avait martelé sans relâche que sa rivale, alors Secrétaire d’État, avait utilisé à tort une messagerie privée pour expédier certains mails concernant les affaires publiques. Deux magistrats avaient déclaré que l’incident était mineur et qu’il n’avait jamais mis en danger la sécurité américaine. Cela n’avait pas empêché le milliardaire de répéter sans cesse, y compris dans un débat télévisé contre Hillary Clinton, qu’il fallait « la jeter en prison ».
À l’aune de ce critère, défini par l’actuel président, les sanctions auraient dû pleuvoir sur les responsables de la fuite au profit de Jeffrey Goldberg. À l’inverse exact de ce qu’il avait dit haut et fort pour la faute mineure de Clinton, Trump a réitéré sa confiance dans l’équipe chargée de la politique étrangère. Hillary méritait la prison, mais les ministres trumpistes, pour un fait plus grave, reçoivent des félicitations.
On dira que le mensonge est fréquent en politique et que Trump ne fait que reproduire une pratique courante. Erreur. Certes, beaucoup de responsables politiques mentent. Mais quand ils sont confondus – et quand le mensonge porte sur des sujets importants – ils essuient un scandale, plus ou moins néfaste à leur carrière. Le mensonge trumpien est d’une autre nature : il est grossier, évident, provocant. Quand Trump ment, il le fait en connaissance de cause et en sachant très bien que ses adversaires ont raison. Mais justement : peu importe. Outre que ses électeurs-gogos, de toutes manières, sont prêts à croire n’importe quelle baliverne qui va dans leur sens, le président américain veut surtout montrer que ses mensonges s’imposeront quoi qu’il arrive : ils sont appuyés sur la force, qui fait prévaloir sa vérité.
Le mensonge trumpien n’a pas pour objet de tromper, mais d’intimider. Il ne se rattache pas aux dérives de la démocratie, comme on le croit trop souvent. Il est un trait constitutif de la dictature : je sais que je mens et vous le savez aussi, mais je suis le plus fort et donc le mensonge l’emporte. Car si le tyran devait se conformer un tant soit peu à la vérité, sa tyrannie s’en trouverait limitée. Tel est le message très franc qui se cache derrière les mensonges du président de l’ex-démocratie américaine. Laquelle ressemble chaque jour davantage à ces dictatures que les pères fondateurs des États-Unis avaient en horreur.