Trump joue le calme … et la tempête
Repli tactique ou chaos stratégique ? Après la trêve instaurée avec l’Europe, les États-Unis font une pause dans leur bras de fer avec la Chine.

En concluant le 12 mai avec Pékin un gel de trois mois dans la guerre des droits de douane, Washington fait retomber la pression sur le dossier des échanges entre les États-Unis et la Chine, laissant du temps à la négociation. Poussé par une opinion publique que sa politique économique désoriente et par les marchés qui craignent une récession, Donald Trump est-il revenu à une approche plus orthodoxe des discussions commerciales ? Ou bien est-il passé à l’acte II d’une stratégie qui consiste à décontenancer son adversaire pour mieux le circonvenir une fois la pression retombée ?
« Le chaos n’est plus l’arme des rebelles, mais le sceau des dominants. (…) Un environnement chaotique exige des décisions audacieuses qui captivent l’attention du public, tout en sidérant l’adversaire », écrit Guiliano da Empoli dans L’heure des prédateurs. Voilà une réflexion en totale adéquation avec la séquence extravagante écrite en 100 jours par le président américain pour obliger le monde entier – et notamment la Chine – à plier face à ses oukases.
Imposer des droits de douane de 145 % aux importations chinoises créait une situation intenable, aussi bien pour les consommateurs américains et les entreprises gavées aux produits « made in China », que pour les exportateurs chinois confrontés à un embargo de fait. La réponse de Pékin opposant des droits de 125% aux produits américains entrant sur son territoire était plus politique qu’économique, les deux pays ayant tous deux à perdre dans cet affrontement de brutes aveugles. Même si Pékin, fort de ses capacités industrielles et de ses ressources en matériaux stratégiques, a les moyens de tenir la dragée haute à Washington, la situation aurait pu demeurer longtemps figée, prenant à la gorge les acteurs économiques et commerciaux des deux camps.
Le répit de trois mois dans cette guerre des taxes a d’ailleurs été salué par les marchés financiers à Wall Street qui, comme les marchés pétroliers, se redressèrent de près de 4 % dans la journée, entraînant les autres places boursières. Les indices ont ensuite marqué une pause dans l’attente des effets de cette trêve tarifaire.
Qu’en ressortira-t-il ? Quel rebondissement imprévisible pourrait à nouveau sortir du bureau oval ? Même après ce rétropédalage, Washington va maintenir des taxes à l’importation de 30 % sur les produits chinois, alors que Pékin n’appliquera qu’une surtaxe de 10 %. Compte tenu de ce différentiel, Donald Trump peut se targuer d’avoir obtenu l’allégeance de Pékin qui, de son côté, peut revendiquer un succès diplomatique avec cette trêve. Mais ensuite ?
C’est une pause de même durée qui est intervenue le 9 avril entre les États-Unis et l’Union Européenne sur les droits de douane, nonobstant un résiduel de 10 % imposé par Washington. Comme si, finalement, avec Pékin comme avec Bruxelles, la trêve faisait partie de la stratégie de Donald Trump pour créer un sentiment d’apaisement chez ses interlocuteurs, après leur avoir lancé une bombe entre les pieds. Pour mieux les surprendre à nouveau ?
À Bruxelles, les Européens sont restés l’arme au pied malgré le sursis, continuant à travailler sur une riposte au cas où le président américain ne reviendrait pas à un cadre de relations commerciales apaisées et équilibrées à l’issue des trois mois. Pékin, sans nul doute, ne baissera pas la garde pendant les négociations. Washington va-t-il inventer de nouvelles règles pour jouer Pékin contre Bruxelles, ou l’inverse, ou les deux à la fois ? « Si l’ancien monde supposait des garde-fous, (…), tout cela n’a plus la moindre valeur à l’heure des prédateurs », continue da Empoli. On a vu que Donald Trump enjambe aisément le droit s’il ne sert pas ses desseins. Trêve ou pas, un nouveau rapport de forces va s’imposer.