Trump : la colère de Narcisse
La rencontre houleuse de la Maison Blanche entre Trump, Vance et Zelensky a une nouvelle fois montré le ressentiment tout personnel de Trump envers l’Ukraine et son président.
PAR SÉBASTIEN LÉVI
La rencontre dans le bureau ovale devait sceller un accord léonin qui visait à assurer une certaine présence américaine en échange de l’exploitation de terres rares par les Etats-Unis. Si cet accord, même amélioré pour l’Ukraine par rapport à sa première mouture, relevait plus du racket que de la coopération sécuritaire classique entre alliés, concept étranger à Trump, il avait fini par être accepté par Zelensky, parfaitement conscient qu’il fallait donner à Trump l’impression d’obtenir un bon deal, en jouant ainsi sur sa fibre transactionnelle (tout s’achète) et son ego (le « best deal maker ever »).
Le paradoxe de cet épisode infamant est que Trump n’est pas que transactionnel dans cette affaire, au grand dam des Occidentaux qui pensaient avoir trouvé la clé, tout comme certains sénateurs Républicains qui avaient « vendu » cette solution des terres rares pour laisser les Etats-Unis protéger l’Ukraine non sur les valeurs mais par intérêt pécunier. Pour Trump, le sujet Ukraine-Russie est personnel, et affecte son ego.
Cette rencontre violente a montré que, sur l’Ukraine, le velléitaire et transactionnel Trump se transforme en effet en être assez discipline et constant. Il est possible que cela remonte à des intérêts privés en Russie, voire à des éléments compromettants que la Russie détiendrait sur Trump et qui expliqueraient sa docilité envers ce pays, mais plus fondamentalement cela tient à une double blessure narcissique qui lui a été infligée sur le dossier Ukraine-Russie.
Accusé de collusion avec la Russie de Poutine pour sa campagne électorale de 2016, Trump n’a jamais digéré de voir sa victoire abimée par cette accusation infamante, étayée par le rapport du procureur spécial Robert Muller. Poutine est ainsi devenu son « co-accusé » dans ce que Trump appelle, encore aujourd’hui, une chasse aux sorcières, et cela peut expliquer sa fascination et son alignement complet sur cet homme, y compris contre ses propres services secrets, d’autant que son affinité envers les leaders autocratiques n’est plus à démontrer.
L’autre épisode eut lieu en 2019, avec le fameux coup de fil à Zelensky pour lui demander de lui trouver des éléments compromettants contre son adversaire (à l’époque probable) pour l’élection de 2020 Joe Biden, ce que Zelensky refusa de faire. Cela contraria d’autant plus Trump que ce fameux coup de fil honteux conduisit à son premier « impeachment », en janvier 2020 (voté à la Chambre mais pas au Sénat).
Le fait que la paix soit aujourd’hui le grand dessein de Trump, fut-ce par capitulation du pays agressé, ne fait que renforcer sa vision du monde qui voit en Poutine un allié et en Zelensky un ennemi ou en tous les cas un obstacle au prix Nobel de la paix qu’il convoite par-dessus tout, par narcissisme et volonté de revanche contre son ennemi ultime, Barack Obama, qui obtint ce prix (sans doute de manière injuste ou en tous les cas prématurée).
Il faut aussi voir dans la violence de cette rencontre la volonté d’humilier Zelensky et de se faire à bon compte une image d’homme fort qui impose sa volonté à ses interlocuteurs qui lui manqueraient de respect. C’est d’ailleurs à cette aune qu’il faut comprendre la pique ridicule de Trump sur la tenue de Zelensky, qui ne portait pas de costume, marque d’un « manque de respect » envers les Etats-Unis, élément de langage répété à l’envi sur tous les médias affidés à Trump comme Fox News.
Les électeurs de Trump apprécieront cela et ne verront pas dans cet épisode ce qu’il est, une capitulation devant la Russie et une manifestation de faiblesse qui sera exploitée demain par les ennemis de la démocratie demain, comme la Russie mais aussi la Chine ou la Corée du Nord.
Mais qui s’en souciera parmi eux, leur président qu’ils adulent ayant choisi délibérément de tourner le dos au monde démocratique ?