Trump : la société du spectacle et de la peur
Scénarisation constante, mais aussi menaces et intimidations digne de la mafia, la présidence de Donald Trump joue de la peur des uns contre l’hubris d’un seul.

Le vote du « Big Beautiful Bill » (Le grand et beau texte) par le Congrès est le dernier de la série de succès, réels ou supposés, remportés par Trump depuis quelques semaines, après la guerre en Iran et le jugement de la Cour Suprême, évoqué dans ces colonnes, qui limite considérablement le pouvoir des juges de le stopper.
Le passage du texte de loi budgétaire au Congrès traduit ainsi l’abdication pure et simple de cette institution – en particulier d’une poignée d’élus républicains, dans les deux Chambres, opposés au texte sur le fond, mais qui ont fini par le voter par soumission – et son corollaire, la peur.
Il n’est ainsi pas insignifiant que Lisa Murkowski, sénatrice de l’Alaska et une des rares voix véritablement indépendantes et critiques contre Trump au Sénat au sein du Parti Républicain ait voté pour ce texte, car elle avait admis en avril dernier que « tout le monde au Congrès avait peur » de Trump et de ses méthodes, dans un aveu désarmant de sincérité pour un personnage de ce rang et avec ce pouvoir.
Mais rien n’illustre mieux le pouvoir de Trump de faire plier ses adversaires politique, que l’annonce par un des rares opposants au texte – le sénateur républicain de Caroline du Nord, Tom Thillis – de sa future retraite, car il savait son siège profondément menacé lors des prochaines élections, pour avoir osé défier le grand homme et son grand texte.
Adepte du rapport de force musclé, voire de la menace (avec des similitudes troublantes avec les méthodes de la mafia) durant toute sa vie, Donald Trump est conforté par ces retraites piteuses d’élus et ses propres succès politiques récents, réels ou incertains (comme sur l’Iran). Cela ne fait qu’encourager le Président américain à pousser son avantage et à éliminer toute opposition ou contradiction, notamment en brandissant les cartes de ses thèmes fétiches : l’immigration et l’insécurité.
En trois jours, Trump a menacé deux Américains naturalisés récemment, Elon Musk, critique du fameux texte de loi, et Zohran Mamdani, élu à la primaire démocrate pour l’élection municipale de New York, d’expulsion du pays, ajoutant qu’il pourrait faire incarcérer à l’étranger, notamment au Salvador chez son ami Bukele, des Américains reconnus coupables de crimes et délits, au mépris total de la loi.
Que ces menaces ne soient pas applicables – ni légales – n’est ni un problème pour Trump, ni un fait rassurant pour ses opposants. Elles servent à maintenir une pression colossale sur ses adversaires, les obligeant à se positionner sur ces sujets et non sur l’impopularité et l’injustice du texte budgétaire, mais aussi à souder plus que jamais les partisans MAGA contre les criminels et les opposants, ces « ennemis du pays » qui sont en fait ceux de Trump et par extension les leurs. Cela vise, bien sûr à polariser et hystériser la société, alors que les résultats économiques commencent à se dégrader sérieusement.
Dans la scénarisation constante qu’est la présidence Trump (comme une émission de télé réalité), la focalisation sur les ennemis à abattre est essentielle, avec la figure de Donald comme le seul sauveur capable de les arrêter. Le jugement de la Cour Suprême est à cet égard un encouragement tacite pour Trump à utiliser tous les moyens, au-delà même de ses prérogatives et au-delà de la loi, pour attaquer en criminels ses adversaires et imposer sa vision de la société, sans contre-pouvoir aucun.
On dit souvent à raison qu’un leader acculé peut être conduit à faire feu de tout bois et à ne plus s’embarrasser des règles pour se sauver. La vérité est la même pour un leader euphorique emporté par l’hubris, a fortiori quand les règles sont lâches et que les institutions chargées de les faire respecter ont abdiqué.