Trump : les cent jours et les jours sans
Après trois mois d’exercice du pouvoir, le président américain présente un bilan désastreux, une sorte de Waterloo politique…
PAR SÉBASTIEN LEVI
Mardi 29 avril, Trump sera revenu à la Maison Blanche depuis cent jours. Retour d’exil, non pas de l’île d’Elbe mais de Mar a Lago, il a profondément transformé le pays, non par des réformes concrètes mais en bouleversant son rapport aux règles démocratiques et au monde.
L’agitation frénétique de la présidence va en effet de pair avec un bilan législatif remarquablement mince, voire famélique, qui traduit non seulement une vision impériale de la présidence, qui ne s’encombre pas du Parlement, mais aussi sa volonté de changer non pas la vie des Américains mais la nature même du régime, avec notamment des attaques incessantes contre les institutions de son pays, comme la presse, la justice et les universités.
Trois images traduisent la signification de ces cent jours.
La première, c’est l’humiliation subie par Zelensky dans le bureau ovale le 28 février, qui exprimait la brutalité du régime mais surtout la fin du leadership américain dans le monde, un renversement d’alliance sans précédent, que le vote à l’ONU du 24 février avait annoncé, avec les États-Unis votant avec la Corée du Nord, la Russie, le Nicaragua ou la Biélorussie contre toutes les grandes démocraties occidentales ou asiatiques
La deuxième, c’est la rencontre de Trump le 14 avril à la Maison Blanche avec Bukele, le président du Salvador, ou ont été expulsés depuis les États-Unis des immigrés, pour certains en situation régulière, contre l’avis de la Justice américaine. A cette occasion, Trump mettait en scène son alliance avec un président à poigne, et surtout son mépris pour l’état de droit, les contre-pouvoirs et le « due process », faisant basculer de facto les États-Unis dans le camp des régimes autoritaires ou tout au moins illibéraux.
La troisième, c’est le show de Trump sur les droits de douane le 2 avril dernier, rebaptisé « Libération Day », avec la mise en scène de chiffres fantaisistes reposant sur des raisonnements erronés, prélude à des revirements successifs alliant foucades et reculades. A cette occasion, l’Amérique a montré une versatilité et un manque de sérieux saisissants sur un sujet économique que Trump était censé maîtriser…
Ces trois exemples ont signifié au monde la fin de crédibilité américaine sur les plans de la diplomatie, des valeurs démocratiques, et des règles élémentaires des affaires. Dans ces trois cas, le leadership américain a été abîmé, voire détruit, par une présidence erratique, incompétente et corrompue, ou la loyauté est le seul critère retenu, et ou la compétence voire l’expertise sont suspectes voire rejetées, incarnant pour certains les élites malfaisantes, d’autres le wokisme ou encore l’« état profond ».
Cette perte vertigineuse de crédibilité au niveau mondial finit par handicaper Trump auprès de ses concitoyens. Les derniers sondages pointent une popularité en berne, autour de 40%, ce qui est un étiage très bas pour un président américain après cent jours. À titre de comparaison, Bush fils, Obama ou Biden étaient autour de 60%, et même Trump 1.0 faisait un peu mieux.
Plus grave encore, sa cote de popularité en matière économique n’est que de 40%, alors que ce sujet est en principe son point fort. Ainsi, auprès des électeurs pour qui l’économie était le critère prioritaire de choix lors de l’élection en novembre dernier, 80% avaient voté pour lui. Perdre son avantage sur l’économie est d’autant plus catastrophique que la hausse des prix et la récession attendues sont les conséquences directes de ses annonces sur les droits de douane.
Certes, ces cent jours ne sont pas ceux de Napoléon. Nulle défaite militaire, nulle abdication en fin de parcours. Mais, en revanche, un Waterloo de la morale publique et de l’état de droit pour les États-Unis, et une abdication de la crédibilité américaine dans le monde. Les cent jours du trumpisme sont en fait des jours sans boussole, sans crédibilité et sans état de droit, exprimant la réalité d’un régime sans foi ni loi.