Trump : l’étrange fascination française
Si la victoire de Donald Trump a plongé une partie des Américains et des opinions publiques mondiales dans la perplexité et l’angoisse, elle a aussi provoqué une vague d’allégresse et d’espoir ailleurs, y compris en France.
Par Sébastien Lévi
Dans la volonté de normaliser Trump, la priorité est de présenter la victoire de Trump comme une victoire nette qui lui aurait donné un véritable mandat. Ce récit est d’ailleurs celui utilisé par les trumpistes américains eux-mêmes, qui exagèrent ou mentent sur la soi-disant victoire écrasante de leur champion.
Rappel utile : la marge de victoire de Trump sur le plan du vote populaire est la plus étroite depuis la victoire de Richard Nixon en 1968. Celle d’Hillary Clinton en 2016 sur Trump était ainsi plus importante que celle de Trump contre Harris en 2024…
On entend pourtant (y compris chez des critiques de Trump) sur les plateaux français une antienne rouillée, selon laquelle la victoire de Trump serait large voire écrasante. Ce mensonge a évidemment un objectif, celui de renforcer le mythe du mandat massif que le peuple américain aurait accordé à Trump, justifiant ses politiques et légitimant leurs propres convictions qu’ils poussent de leur côté.
Premier angle d’attaque répété à l’envi, notamment sur les media Bolloré : la victoire de Trump serait un rejet massif par « les » Américains du « wokisme promu par les démocrates », et cette répudiation serait le début d’une vague mondiale, qui toucherait aussi le rejet de la censure et la défense de la « liberté d’expression », dont le symbole ultime serait X/ Twitter.
Autre angle d’attaque, particulièrement propice dans un pays incapable de réduire sa dépense publique, et souffrant de paralysie politique depuis la dissolution de juin dernier : la victoire de Trump serait celle du peuple contre son gouvernement tentaculaire et dépensier. Là encore, il s’agit moins d’un raccourci paresseux que d’une exploitation en bonne et due forme d’une réalité totalement différente pour pousser ses propres priorités, celle de casser la solidarité et l’état providence à la française.
L’émeute du 6 janvier, la brutalité de Trump, le lâchage de ses alliés, ne seraient que des désagréments, des mouvements d’humeur qui seraient inhérents à tout « casseur de codes ». Plus troublant, on constate aussi une sympathie envers les remises en cause des contre-pouvoirs et de l’état de droit, qui seraient des obstacles à la bonne marche de l’économie et l’expression des blocages français, et non des garants essentiels de toute démocratie.
Plus de la moitié des Français (51%) estiment que seul un homme fort pourrait remettre le pays debout. En creux, ce chiffre est un terrible désaveu de la classe politique française et des corps intermédiaires. La mansuétude observée envers Trump, au-delà de l’extrême-droite, est aussi le reflet de la dégradation sans précédent des sentiments démocratiques et d’un respect des normes et des formes, et ce en moins de 10 ans. Sans surprise, on entend des voix appelant de leurs vœux l’avènement d’un Trump français capable de remettre le pays dans le droit chemin.
La vulgarité manifeste et revendiquée de LFI a transformé l’Assemblée nationale en terrain d’affrontement et renforcé encore cette image de chaos qui, couplée à l’impuissance des politiques à faire passer un budget, représente un terreau favorable pour un populiste sur le modèle de Trump.
La galaxie trumpiste en France rêve d’un scenario de ce genre. Si Marine Le Pen, qui joue la respectabilité contre le chaos de LFI, ou Éric Zemmour pourraient jouer ce rôle, il est possible que, comme aux Etats-Unis avec Trump, l’incarnation ne soit pas un homme politique, mais une star médiatique, comme Cyril Hanouna, un proche (oui qui l’a été) de Vincent Bolloré et qui d’ailleurs envisage de se présenter à la prochaine élection présidentielle, ou Pascal Praud, parangon du « bon sens » contre les « élites déconnectées », et dont le discours pro-Trump est une constante dans ses émissions. N’oublions pas qu’Éric Zemmour est lui-même un ancien de CNews…
Il est possible que l’impact du « vu à la télé » (complété par mythe du businessman outsider pour Trump) fonctionne mieux aux États-Unis qu’en France. Mais que cette incarnation trumpiste soit de facture classique ou médiatique, la dégradation de nos mœurs politiques, l’idée d’impuissance pourraient bien propulser un tel candidat à la présidence, avec le soutien des médias Bolloré, et voir la réalisation des rêves des nouveaux trumpistes français et de certains milieux économiques qui regardent aujourd’hui la situation américaine avec envie.