Trump ou la nouvelle bascule du monde
L’opération américaine contre l’Iran n’est pas une simple accélération spectaculaire de la guerre. C’est l’émergence d’un monde nouveau fondé sur la force qui confirme la mort clinique du multilatéralisme.

Les deux semaines de réflexion annoncées par Donald Trump pour décider s’il allait porter secours à son allié Benyamin Netanyahou n’auront pas été nécessaires. Dès que les renseignements des satellites militaires ont été fournis, le chargement des missiles sur les bombardiers B-2 effectués, le plan de vol établi au millimètre en coordination avec l’armée israélienne, le patron de la Maison Blanche a donné son feu vert. Il avait quitté pour cette raison sa résidence de Floride et rejoint Washington au début du week-end.
Après les premières vagues de bombardements lancées par Israël sur les sites nucléaires de Natanz, Ispahan, la base Fordo posait un problème aux Israéliens. Celle-ci est enterrée dans un site montagneux à cent mètres de profondeur. Netanyahou n’avait pas la technologie adaptée pour l’atteindre. Quelque 125 appareils et un sous-marin ont participé à l’opération « Midnight Hammer ». Certains bombardiers B-2 étaient porteur de bombes de 15 tonnes baptisées GBU-57, cette « arme anti-bunker » est capable d’atteindre des cibles enfouies sous soixante mètres de béton, elle peut corriger d’elle-même sa trajectoire en cours de vol. Les trois sites iraniens ont été frappés.
Si l’on en croit le Centre d’études stratégiques de Washington, ces bombes sont les plus puissantes au monde, elles « n’ont encore jamais été utilisées en situation de combat ». Plusieurs passages de bombardiers ont sans doute été nécessaires pour endommager le site de Fordo. L’escadrille américaine avait embarqué une quinzaine de bombes de ce type. On ne sait pas encore si la frappe américaine s’arrêtera à ce « one shot ».
Donald Trump a donc tranché. Il s’était fait élire en faisant la promesse que l’on établisse son bilan sur les guerres qu’il n’aura pas engagées : six mois après le début de son mandat, il vient de trahir le courant isolationniste de ses électeurs qui constitue la base populaire du mouvement « Maga ». Selon des sondages récents, seul 15% des Américains étaient en faveur d’un engagement militaire au côté des Israéliens. Depuis le début de l’intervention israélienne le débat faisait rage entre les populistes et le vieux courant néo-conservateur républicain qui a porté le milliardaire américain au pouvoir.
Deux éléments expliquent ce choix. D’abord le caractère d’un homme, sa volonté de se situer du côté des « winners » si d’aventure le régime des mollahs venait à s’effondrer. Ensuite la relation de proximité qu’il entretient depuis des années avec Benjamin Netanyahou. On retiendra enfin que la décision, qui restera sans doute comme la plus importante de son mandat, a été prise pour soutenir son allié dans une région où l’action de Washington n’a pas été couronnée de succès – c’est une litote – au cours des vingt dernières années en Irak comme en Afghanistan.
Pour le premier ministre israélien, la décision de Trump est en revanche un succès d’autant plus évident que l’attaque sur l’Iran a provoqué un consensus si large en Israël qu’il fait presque oublier les dissensions apparues sur la conduite de la guerre à Gaza. Fort de cette réussite, Benyamin Netanyahou va chercher à poursuivre la fuite en avant qu’il conduite sur sept fronts désormais, Gaza, Cisjordanie, Liban, Syrie, Irak, Yémen, Iran avec pour objectif de remodeler le Proche-Orient.
« Maintenant, l’heure de la paix a sonné ». Commentant avec fougue le succès de son aviation, Trump attend manifestement que Téhéran mette un genou à terre. Rien n’est moins sûr. Même si le programme nucléaire de l’Iran est mis à l’arrêt pour quelques temps, il est illusoire d’espérer une capitulation rapide du régime. Non seulement Ali Khamenei a fait savoir qu’il était prêt à mourir en martyr, mais on sait que les responsables iraniens ont déjà désigné trois successeurs possibles à l’actuel « guide suprême ».
Téhéran n’a pas non plus les moyens d’une riposte militaire d’envergure : ses affidés, le Hezbollah au Liban, les Houthis au Yémen sont très affaiblis. Le ciblage avec des missiles sur les nombreuses bases américaines situées dans les pétro-monarchies du Golfe provoquerait à coup sûr une réplique cinglante par voie aérienne ou maritime. A Téhéran, la priorité est la survie du régime. Le plus probable est que l’actuelle direction du pays fasse le dos rond. Elle pourrait se contenter d’une riposte « a minima » via les milices chiites en Irak, où se trouvent aussi des bases américaines. Dans un deuxième temps, le régime chercherait un accord négocié. Pour Washington, un tel compromis serait plus facile à obtenir dès lors que les capacités nucléaires de l’Iran auraient été réduites à plus grand-chose après les frappes de la nuit du 21 au 22 juin.
« Les événements de ce matin sont scandaleux et auront des conséquences éternelles ». Abbas Araghchi, ministre iranien des affaires étrangères, a le verbe haut pour qualifier l’assaut engagé contre son pays par la première puissance mondiale. Il sait bien qu’au regard du droit international, cette frappe de haute technologie est illégale. Il dit encore que la table des négociations vient de « voler en éclat » sous les bombes.
A la veille des frappes américaines, il était encore à Genève pour rencontrer les ministres allemand, britannique et français des affaires étrangères. Dans leur communiqué, les trois ministres marquaient leur volonté de « trouver une solution négociée au problème du programme nucléaire iranien ». Aujourd’hui la table des négociations a disparu du paysage et avec elle, l’Europe aussi. Trump avait prévenu, l’Iran n’est pas une affaire pour la diplomatie européenne.