Trump-Poutine : retour vers le futur impossible
Bien sûr nous sommes sonnés. Comme les démocrates américains, comme bien des européens et consciences orphelines. Pourtant, on ne reviendra pas durablement à l’ordre du monde des années 1960 en 2025.
Bien des européens pestent à juste titre contre la lenteur des décisions, la complexité institutionnelle et pratique face au basculement à l’œuvre et les circonvolutions bien élevées de la diplomatie du vieux continent. Il n’empêche, la prise de conscience dont l’épicentre est Paris, est en cours. On peut même prudemment s’avancer sur les suites, élargissant la phalange la plus éveillée du cercle européen.
La péninsule ibérique est prudente, mais pas totalement fermée à l’idée d’envoi de troupes européennes devant assurer une fonction de maintien de la paix. Pour l’heure, elle considère que c’est prématuré. Les britanniques sont redevenus des partenaires impérieux, comme nous le réclamions ici même depuis des mois. Enfin, le chef de la social-démocratie allemande, Olaf Scholz, signe ses derniers jours comme un échec supplémentaire. Après dimanche soir, il entrera dans la remise des quelques chanceliers de la République fédérale, dont l’incapacité fut double, parce qu’il s’est refusé à imbriquer les réalités nationale et européenne, arc-bouté sur les seuls intérêts d’une industrie déclinante.
Si comme le dit, Jean-Yves Le Drian, « tout se présente comme si nous étions dans un renversement d’alliance » et si « toutes les piques qui ont été envoyées s’adressent uniquement aux amis historiques des États-Unis », la question est de savoir si le monde peut être administré par deux superpuissances comme au temps de la guerre froide, sur le dos de l’Europe et des autres. Evidemment non.
Que Poutine en poursuive le rêve éveillé, prêt à édifier des villages Potemkine, c’est la dimension psychiatrique propre à tous les grands dictateurs de l’Histoire. La vérité est autrement plus crue. Si elle a su maintenir, voire reconstituer une partie de sa zone d’influence dans le Caucase et à sa frontière occidentale européenne, la Russie reste une économie de rente dont l’intégration au marché mondial ne se fait que par bribes à l’image du cyber ou elle performe. Une partie de sa population est économiquement exsangue et le poids de son lobby militaire supérieur à plus de 5% de son PIB n’est pas sans conséquence dans la durée. Ses plus proches alliés proche-orientaux sont en mauvaise passe ou piteusement défaits. Bachar El Assad croupit désormais dans une tour dorée de Moscou, les mollahs de Téhéran fournissent à Poutine des drones, mais font face à une contestation héroïque de la population depuis trois ans au moins. En contre-point, l’Afrique est devenue le terrain de jeux des milices Wagner, supplantant l’influence française, avec le soutien des prétendus « décoloniaux » et de Mélenchon Ier. Mais rien ne dit que leur déontologie militaire toute poutinienne, ne parvienne à pacifier des zones entières soumises à la déstabilisation djihadiste.
Quant aux États-Unis, la volonté impériale relève davantage de l’affichage public si ce n’est de la croyance. En 1945, les deux-tiers des réserves d’or sont américaines, la moitié de la production mondiale provient de l’oncle Sam qui assure 25% des échanges et les deux-tiers de la flotte mondiale. Trump peut y rêver, Trump peut multiplier les caprices, Trump à la manière de 1984 peut l’exiger de sa population, le réel lui rappellera que la bipolarisation du monde et de l’Europe sont derrière nous, au profit d’une globalisation fragile, structurée par pôles. Ici, nulle idée prétendant à présenter les États-Unis comme défaits ou poussant ses derniers feux comme on l’écrivit régulièrement au XXe siècle, mais un rappel afin de ne pas relativiser les fondamentaux économiques, au fondement des rapports de force géopolitiques en devenir.
Paradoxalement, si nous revenions à cet ordre suranné, tragiquement et idéologiquement structuré, la phrase de Aron « paix impossible, guerre improbable » retrouverait une forme de rationalité. C’est bien parce que le monde d’aujourd’hui ne sera plus jamais celui poursuivi par Trump et Poutine que la perspective de la guerre est devenue une probabilité. L’opposition structurante est celle des démocraties face aux dictatures et régimes illibéraux. Avec langueur, Paris l’a compris. D’autres y viennent.