« Tu ne mentiras pas »
Le mensonge en politique est un véritable danger pour l’adhésion à la démocratie. Quelles sont les solutions ?
Tribune de Bernard Poignant.
« Les hommes politiques mentent pour gagner des voix ». « Ils font des promesses qu’ils savent inapplicables pour conquérir leurs sièges ». Voilà ce qui se dit et s’entend. Il est vrai que nous vivons le temps des « fake news », plus clairement des mensonges ou encore des « vérités alternatives » selon la méthode « peu importe que ce soit vrai pourvu que ce soit cru ». Donald Trump n’a pas été avare de mensonges pendant sa campagne électorale. Un de ses meilleurs aura été proféré lors d’un de ses meetings, quand il accusait Kamala Harris d’être favorable à l’avortement « même après la naissance ». Difficile de faire mieux pour un menteur…
Au Royaume-Uni, le Parlement du Pays de Galles (Senedd ou Sénat) prend la voie de la sanction si un membre de cette assemblée est pris en flagrant délit de mensonge. Mardi 2 juillet 2024, après une journée de longs débats, le gouvernement gallois s’est engagé à appliquer, d’ici 2026 (année des nouvelles élections), une nouvelle législation qui permettrait de destituer des membres du Senedd si ces derniers ont sciemment menti.
L’idée est venue d’un membre du parti nationaliste gallois, Adam Price, qui s’est battu de tous temps contre le mensonge en politique. Il a tenté́ de destituer le Premier Ministre Tony Blair pour ses mensonges lors du déclenchement de la seconde guerre d’Irak en 2003. Il déclarait ceci : « La confiance en ce que nous disons en tant que politiciens est tombée à un niveau sans précèdent. Comment restaurer, reconstruire et maintenir cette confiance dans la démocratie ? » Si son projet aboutit, le Pays de Galles serait le premier pays ou « nation » du Royaume-Uni à interdire le mensonge en politique. Il reste cependant à définir les modalités pour éviter l’arbitraire et surtout l’erreur judiciaire.
A l’heure de la « post-vérité » (expression consacrée « mot de l’année » en 2016 par l’Oxford Dictionnary), cette question n’est pas mineure et tout est à explorer pour renouer cette confiance sans laquelle la démocratie vacille. Car le mensonge est un poison lent dans nos démocraties libérales. Il y en a un autre : le déni de réalité́. On le vit dans le dossier des retraites depuis la première réforme d’Edouard Balladur en 1993. Même chose pour l’immigration qui n’est ni une chance ni une malchance, mais un besoin pour faire fonctionner notre économie et combler une démographie défaillante.
Interrogé sur la question du mensonge quand il présidait la France, Valéry Giscard d’Estaing avait répondu : « On ne doit pas mentir aux citoyens, sauf par omission et seulement quand il s’agit de secrets d’État concernant la sécurité ». Sur un autre bord de l’échiquier politique, le Président du Conseil, Pierre Mendès-France a écrit un livre sur les principes qui doivent inspirer les dirigeants : La vérité guidait leurs pas. Quant à Michel Rocard, il déclinait toujours son slogan : « parler vrai ».
Cette question de la vérité́ et du mensonge n’a pas été absente des débats pendant la Révolution française. Le philosophe Nicolas de Condorcet proclamait : « La raison est une et n’a qu’un langage ». Il a ainsi posé les bases de l’instruction publique pour une humanité toujours perfectible grâce à la raison et à la vérité. Il faut continuer à s’en inspirer.
La journaliste Camille Desmoulins, dans son journal « Le Vieux Cordelier » écrivait : « Le propre de la République est de ne rien dissimuler, d’appeler les Hommes et les choses par leur nom pour former un esprit juste et mettre les Hommes à l’abri de l’imposture et du fanatisme » (1). Sans oublier Charles Péguy : « Dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, dire bêtement la vérité bête, ennuyeusement la vérité ennuyeuse, tristement la vérité triste »
Ces anciens ne connaissaient pas la télévision et les chaînes d’info en continu. Ils lisaient des journaux sur papier et certains avaient une diffusion limitée. Aujourd’hui les réseaux sociaux et l’intelligence « artificielle » sont capables de répandre des mensonges sur toute la planète en temps réel. Petit à petit, la base de la démocratie est sapée car elle repose sur l’intelligence « naturelle » du citoyen à condition de ne pas lui mentir.
Il y a les délinquants du code pénal. Il faudrait sanctionner les délinquants du code civique à condition que ses auteurs ne restent pas anonymes. C’est un des lourds enjeux de nos démocraties du XXIème siècle. Sinon les autocraties gagneront.
Bernard Poignant
(1) Citations extraites du livre de Pierre Rosanvallon : Les institutions invisibles, Seuil, 2024, p.127