Ubu à la Maison-Blanche : et s’il échouait ?
Après deux mois d’exercice baroque du pouvoir, le bilan de Donald Trump – certes provisoire – ne sert en rien l’intérêt de ses électeurs, ni celui des États-Unis.

Il ne faut certes vendre la peau de l’ours blond avant qu’il ait succombé. Après tout, il reste beaucoup de temps à Trump : il peut espérer le succès de sa politique, selon ses propres critères réactionnaires, malgré les difficultés initiales. Mais enfin ! Comment ne pas jeter un œil tristement ironique sur ses deux premiers mois ? Comment ne pas voir que ses électeurs, mus par une révolte tripale, seront, selon toutes probabilités, les cocus de cette histoire comico-tragique ? Comment ne pas s’apercevoir que l’Amérique, qui avait conservé, malgré ses errements, le prestige d’une grande démocratie héritière d’une glorieuse histoire, sortira de cette équipée diminuée et défigurée ?
Trump se soucie avant tout d’économie, de puissance industrielle, de santé financière. Mais en raison de ses projets fous, de son imprévisibilité et de l’absurde guerre commerciale qu’il a déclarée, le président a jeté le désordre dans sa maison, déconcerté les investisseurs, inquiété les consommateurs, déstabilisé les salariés comme les propriétaires. Les instituts les plus fiables prédisent une forte baisse de la croissance américaine et l’inflation – argument massif de sa campagne contre les démocrates – est repartie à la hausse. La Bourse enfin, mesure de toute chose selon sa religion du pognon, a plongé dans des proportions inédites depuis des lustres.
Le trumpisme a prospéré sur la critique du pouvoir excessif des institutions fédérales, professant que le mal venait de Washington et de sa bureaucratie. Or voici que les décisions sont toutes prises – justement – à Washington par un homme seul, qui méprise toutes les procédures, qui ne cesse de vilipender le principe du « checks and balance », pilier de la démocratie américaine selon ses pères fondateurs et qui dénonce à son public de fanatiques tout ce qui pourrait contrarier son bon plaisir. Fondée sur la critique de la confiscation du pouvoir par « les élites », la victoire de Trump débouche sur la dictature d’une poignée de milliardaires qui veulent remodeler la société américaine selon leurs idées foutraques et leurs intérêts sonnants et trébuchants.
La faction libertarienne qui soutient Trump l’a persuadé de disserter sur « la censure » exercée, selon eux, par le « politiquement correct », pour prôner une politique de « free speech » qui exclut toute régulation de la liberté d’expression sur les réseaux et dans la société. Moyennant quoi la nouvelle administration se lance dans la répression tous azimuts des idées qu’elle réprouve, dénigre sans cesse les médias libres, menace les juges indépendants et les journaux rétifs, traque les intellectuels adverses, interdit à un universitaire étranger de séjourner aux États-Unis pour la seule raison qu’il a critiqué la nouvelle administration dans des conversations privées.
Trump, enfin, se flattait d’être « l’homme de la paix », comme le font les conservateurs quand ils ont décidé de plier devant tel ou tel tyran (voir Chamberlain). Pour résultat, il a encouragé Benyamin Netanyahou à reprendre la guerre de Gaza, enflammant un peu plus le Proche-Orient. Et dans la guerre d’Ukraine, plutôt que de chercher à équilibrer le rapport de forces entre les deux parties, il a affaibli avec une brutalité inédite son ancienne alliée, qui doit maintenant faire face au renforcement moral et matériel de l’armée russe galvanisée la trahison américaine. Simultanément, chez lui, dans un pays qui vivait en bonne intelligence avec ses voisins mexicains et canadiens, il a déclenché une réaction de défense indignée au nord et au sud en affirmant avec morgue ses prétentions impérialistes et en allant jusqu’à suggérer qu’il pourrait envahir le Groenland, terre pacifique qui ne demandait qu’à coopérer avec les États-Unis.
Au fond, la seule chose qui marche, c’est la chasse aux immigrés sans-papiers, traqués avec férocité par l’armée et la police. Il est vrai qu’ils ont été désignés boucs émissaires des difficultés américaines. Ils sont donc sacrifiés aux obsessions identitaires du mouvement MAGA. Ce sera la grande victoire de Trump : écraser les plus faibles des habitants de son propre pays.