Ukraine : le front africain
Une visite d’État de Zelensky se tiendra dans les mois qui viennent en Afrique du Sud : ce sera la première du genre, qui traduit la volonté de l’Ukraine d’être présente sur tous les fronts, même les plus éloignés.
Le voyage de Zelenski constituera l’acmé d’un rapprochement continu entre Ukraine et Afrique annoncé par le président ukrainien à l’Union africaine en juin 2022, et confirmé par son ex-ministre des Affaires étrangères Kouleba, démissionné il y a quelques jours, à l’occasion du 60ème anniversaire de l’Union Africaine en mai 2023.
La nécessité de ce rapprochement est apparue criante à Kiev dès le début de l’invasion russe : le 2 mars 2022, en effet, seuls 28 pays du continent noir sur 54 avaient manifesté par vote leur hostilité à l’entreprise de Poutine. Depuis 2023, en dépit de la mobilisation exténuante de ses forces sur son territoire, Kiev a accéléré une manœuvre visant à contrer en Afrique subsaharienne l’influence de la Russie qui prétend y faire la pluie et le beau temps, de façon souveraine ou via ses milices, depuis la fin des années 2010.
Sous la férule du très volontariste Kouleba, qui a condamné, en mars 2024, « l’inertie » de ses prédécesseurs en matière de politique africaine, les diplomates ukrainiens ont fait une routine des missions en Afrique (Sénégal, Côte d’Ivoire, Ghana, Kenya, Éthiopie, Mauritanie…). De nombreux accords de coopération bilatérale (dans les champs culturel, éducatif, sanitaire, de l’industrie numérique…) ont été signés en 2023.
Kouleba a annoncé en juin dernier l’ouverture de dix nouvelles ambassades d’Ukraine en Afrique (les premiers postes verront le jour au Mozambique, au Rwanda et en Mauritanie) et d’une « Maison de commerce Ukraine-Afrique ». Des forces spéciales ukrainiennes, membres du renseignement militaire, stationnent au Soudan où elles sont intervenues à l’automne à Omdourman pour contrer les séditieuses Forces de soutien rapides (FSR) soudanaises soutenues par Wagner.
L’Ukraine joue bien entendu de la dépendance alimentaire de l’Afrique pour marcher sur les plates-bandes russes. Elle a à de nombreuses reprises rassuré l’Afrique (la Mauritanie, par exemple, dont le président Ghazouani est désormais à la tête de de l’UA) s’agissant de l’acheminement du blé vers ses côtes.
Elle a même joué la carte de l’exportation à titre gracieux, notamment à destination des pays de l’est africain (Soudan, Yémen, Somalie, Éthiopie, Kenya), à qui elle a par exemple offert, début 2023, 135000 tonnes de blé (110000 pour Somalie et Éthiopie, 25000 pour le Kenya…). Elle essaie de convaincre ceux des pays africains qui ont pour l’heure résolu d’adopter une posture de neutralité de considérer, pour condamner Moscou, l’hypothèse d’un dérèglement général du droit international frontalier qui ne serait pas sans leur nuire.
Maksym Subkh, représentant de Zelensky pour l’Afrique, a fait le pari que l’Afrique du sud, membre originel des BRICS, et dont le président, Cyril Ramaphosa, avait pris la tête d’une délégation porteuse d’un projet de résolution du conflit rejeté par Kiev en juin 2023, est l’interlocuteur incontournable pour qui veut influer en Afrique.
Depuis l’été 2023, les deux chefs d’État n’ont cessé de se parler, que ce fût depuis Pretoria et Kiev ou à New-York (novembre 2023). Un diplomate ukrainien s’amusait récemment de la croissance exponentielle de la facture téléphonique d’une Ukraine qui contactait l’Afrique « 3 fois par an » avant 2022 et la contacte aujourd’hui « 24 fois par jour ». Certes, l’Ukraine subit un siège mais tout atteste, sa politique africaine en particulier, qu’elle dispose encore de puissants leviers de projection extérieure.