Ukraine : le tango Trump-Poutine
Depuis des semaines, les deux chefs d’État alternent les pas en arrière et en avant, sans aboutir à rien. Une seule certitude : c’est Poutine qui conduit le bal.
Deux clichés symbolisent les discussions sur l’éventuelle fin des combats en Ukraine. Le premier, le 18 février, avec le lynchage de Zelensky dans le bureau ovale de la Maison Blanche. Le second à Rome, le 26 avril, le même Zelensky chuchotant aux oreilles de Trump, deux hommes seuls sur des chaises posées sur le marbre de l’immense cathédrale Saint Pierre.
En fait, l’affaire a commencé à Ryad, le 17 février. Ce jour-là, le patron de la diplomatie russe, Serguei Lavrov, rencontrait le secrétaire américain Marco Rubio et l’envoyé spécial Steve Witkoff. Premier contact direct entre Moscou et Washington depuis l’assaut des troupes russes sur Kiev. Après quoi les Russes se sont senti « entendus » par l’équipe Trump qui, de son côté, a entr’aperçu « des opportunités extraordinaires ».
Le 11 mars suivant, Zelensky se rend en Arabie Saoudite, alors que Washington avait déjà cessé de fournir ses renseignements militaires à Kiev. Le président ukrainien parle de trêve avec Moscou, mais on comprend vite compris que l’entrevue n’était qu’une mascarade permettant à Poutine de gagner du temps. Tandis que Zelensky bataillait avec Washington pour rédiger un accord permettant aux États-Unis d’exploiter les minerais rares de son pays, les bombardements continuaient sur les grandes villes ukrainiennes.
Aujourd’hui Ryad paraît une étape lointaine. C’est à partir de là pourtant que Trump s’est mis à parler de la guerre en utilisant le narratif de Poutine. C’est là aussi que l’on a vu le maître du Kremlin et Trump danser ensemble leur premier tango, pour faire croire que l’on discutait sérieusement de l’avenir de l’Ukraine.
Tandis que Poutine jouait la montre, Trump piaffait d’impatience. Pendant sa campagne électorale il fanfaronnait, il allait régler la question ukrainienne en 24 heures. L’Europe a su profiter de ce ralentissement orchestré par Moscou.
A la manœuvre, la France et la Grande Bretagne. Macron puis Keir Starmer se sont engouffrés dans la brèche. La bascule stratégique des États-Unis lâchant le vieux continent face à la Russie de Poutine, va jouer comme un formidable accélérateur dans la relance d’une Europe puissance, susceptible de prendre en charge sa défense. À Paris, puis à Londres, l’Europe voulait monter dans le train des négociations dont elle avait été exclue par Moscou et Washington. Macron défendait l’idée d’une force de sécurité européenne robuste pour couper court à toute velléité de Moscou de relancer la guerre. Pour le Kremlin, c’était « niet ».
Aujourd’hui les lignes rouges sont claires. Le projet de règlement américain a reçu l’aval du Kremlin : reconnaissance de la souveraineté russe sur la péninsule de Crimée annexée par Moscou en 2014, gel de la ligne de front conduisant à l’emprise de facto sur les « oblasts » de l’est et du sud presque entièrement occupés par les forces de Poutine, pas d’adhésion de Kiev à l’Otan et des garanties de sécurité pour le moins assez vagues.
Soutenu par l’UE, le projet ukrainien est fondé sur d’autres principes : aucune discussion territoriale avant un cessez le feu complet, aucune reconnaissance de la souveraineté russe sur les régions conquises par les armes, aucune contrainte sur les futures capacités militaires de Kiev. En un mot, le rejet de la « finlandisation » de l’Ukraine.
L’envoyé spécial Steve Witkoff aura rencontré Poutine à quatre reprises, aucun cessez-le-feu n’a été respecté par Moscou. Avec une naïveté à peine feinte, Trump se dit « très déçu » par l’attitude de son partenaire russe, même si, depuis Ryad, il veut faire croire qu’il est en mesure de bousculer Poutine. Alors, il menace de tout plaquer si les discussions traînent en longueur. Tango ou valse lente ? Quoi qu’il en soit, sur la piste, c’est bien Poutine qui conduit son partenaire.
Le maître du Kremlin vient d’engranger une victoire : les forces russes ont récupéré l’oblast de Koursk dont les Ukrainiens s’étaient emparé en août dernier. Ce succès tombe à pic. Poutine veut faire du 9 mai prochain une démonstration de force pour commémorer le 80éme anniversaire de la fin de Seconde Guerre mondiale. C’est à Koursk, à l’été 1943, que l’Armée Rouge de Staline a fait basculer en sa faveur la bataille sur le front Est. Une victoire contre les nazis, dont Poutine disait, au moment de lancer ses troupes sur l’Ukraine, en février 2023, qu’ils étaient encore au pouvoir à Kiev. Le tango Poutine-Trump continue… avec une petite musique des années quarante.



