Ukraine : un « deal » en forme de défaite

par Pierre Benoit |  publié le 13/02/2025

La paix promise par le président américain est surtout une reddition : avant même le début des négociations, Poutine a obtenu des concessions majeures.

Donald Trump à Washington, le 11 février 2025, Volodymyr Zelensky à Bruxelles le 19 décembre 2024 et Vladimir Poutine à Moscou le 17 janvier 2025. Poutine a déclaré à Trump lors d'un appel téléphonique le 12 février que des "négociations de paix" visant à mettre fin au conflit ukrainien étaient possibles, a déclaré le Kremlin. Trump a déclaré sur Truth Social que les deux dirigeants avaient lancé des invitations à « se rendre mutuellement visite dans leurs pays », tandis que le dirigeant américain a déclaré qu'il appellerait Zelensky « dès maintenant » pour l'informer.

Le « téléphone rouge » fonctionne à nouveau entre Washington et Moscou. Donald Trump a discuté mercredi avec Vladimir Poutine pendant 90 minutes. Ils ont fait un tour d’horizon de la situation mondiale en commençant par l’Ukraine.

Pour Trump, le dossier est assez simple : les négociations peuvent démarrer « immédiatement » afin de mettre fin au conflit qui entre le 24 février dans sa quatrième année. Ces tractations seront rapides car la Maison Blanche n’a plus l’intention de soutenir l’effort de guerre de Kiev : la sécurité de l’Ukraine est l’affaire des Européens, tout comme la sécurité de l’Europe toute entière d’ailleurs.

Vladimir Poutine était d’autant plus satisfait de renouer avec Trump que le Secrétaire américain à la Défense Pete Hegseth venait tout juste de baliser le terrain dans un discours prononcé au siège de l’Otan à Bruxelles. L’ancien présentateur vedette de Fox News a balayé toute illusion sur un retour de l’Ukraine dans ses frontières d’avant 2014, ou la perspective d’une adhésion de Kiev à l’Otan. « Illusoires », « irréalistes » donc les conditions du dialogue imaginées par les Ukrainiens. Les dernières propositions de Volodymyr Zelensky qui parlait d’échange de territoires et voulait capter l’attention de Trump en mentionnant les métaux rares de l’Ukraine n’auront servi à rien…

On vient d’assister à un retournement stratégique des Etats-Unis. Il a une conséquence immédiate : avant même l’ouverture de négociations, l’administration Trump place la Russie dans une position de force puisqu’elle obtient d’entrée de jeu ce qu’elle voulait, la récupération de l’Est ukrainien, la Crimée et la « non- adhésion » de Kiev à l’Otan.

L’épisode replace aussi l’agression russe contre l’Ukraine sur ses vrais fondements : même si on a parlé au Kremlin de vastes populations russes ou de familles mixtes dans les régions de l’Est, cette guerre est une guerre politique, un conflit idéologique, non une querelle pour des frontières. Pour justifier son offensive, Poutine a dû inventer une direction ukrainienne truffée de nazis et ranimer la mémoire de « la grande guerre patriotique » de l’époque hitlérienne. En fait, il fallait briser net la marche des Ukrainiens lancée depuis les évènements de Maïdan vers l’Europe démocratique. Faire un exemple. Voilà pourquoi le porte-parole du Kremlin a qualifié l’entretien de mercredi de « très positif », ajoutant que Poutine est favorable à des pourparlers de paix pour « s’attaquer aux causes profondes du conflit ».

Après son échange avec le Kremlin, Donald Trump a appelé Zelensky pour « l’informer ». L’entretien a été plutôt bref, on ne sait pas quel rôle il entend le voir jouer après un tel « lâchage ». Il en va de même pour les Européens : ni Moscou, ni Washington n’ont à ce stade formulé la moindre promesse pour leur garantir une place dans les négociations sur l’avenir du pays.

L’initiative en solo de Donald Trump divise les Européens, ses relais, l’Italie de Giorgia Meloni, la Hongrie de Viktor Orban, auront tôt fait de saluer demain le retour de la paix en Europe.
Mais les pays de l’Union Européenne qui voudront apporter leur aide à la reconstruction et à la stabilité de l’Ukraine ravagée ne pourront le faire qu’en unissant leurs efforts. Tout dépendra des conditions de l’accord de paix.

Après une guerre aussi sanglante, cette remise en scène de Poutine par la volonté de la Maison Blanche fera trembler les Pays Baltes, la Pologne, les pays du bassin de la Mer Noire, tous ceux qui veulent construire un avenir démocratique et européen. Les proches voisins de la Russie savent qui est Poutine, ils le fréquentent depuis un quart de siècle, ils ont la mémoire des bombardements sur Grozny et la Syrie, des manipulations sur la Géorgie qui apparaissent aujourd’hui comme le banc d’essai de la crise ukrainienne.

Ces pays ont tous compris que la vision du monde du patron du Kremlin est celle des empires autoritaires, des zones d’influences avec des droits limités pour les pays limitrophes. Peut-être même voient-il Poutine se partager le monde en compagnie de Donald Trump, du chinois Xi Jinping, et eux, faire les frais de ce découpage si d’aventure l’Europe ne surmonte pas ses querelles, ou qu’elle manque de courage et de détermination.

Pierre Benoit