Un bigbang de civilisation
Longtemps préoccupée par la perspective des 10 milliards d’habitants à l’horizon 2100, les sociétés contemporaines s’inquiètent désormais d’une décrue générale de la natalité. Quand Trump bouscule toutes les chaines de valeur, la réorganisation du monde fait d’une démographie positive un avantage concurrentiel majeur s’il s’accompagne d’une éducation à la hauteur des enjeux.
Le PC chinois ne sait plus comment combattre la dénatalité. Le Japon autorise le prélèvement financier sur les comptes des défunts isolés afin de financer les obsèques. Pierre-Edouard Stérin et Elon Musk organisent la relance nataliste contre le « grand remplacement ». Pas si éloignés des atrocités eugénistes, quelques cerveaux perturbés y reviennent.
Aux Etats-Unis, le fondateur de Space X joint la pratique à la théorie, multipliant les progénitures et les compagnes porteuses, dans une polygamie de circonstance, destinée à transformer les femmes en simple outils de reproduction. En France, le catholicisme intégriste a trouvé son nouveau chevalier en la personne de Stérin, prêchant l’évangélisation forcée et les « bébés de souche européenne ». S’appuyant sur la constitution d’un Empire Bolloré multicarte comme camp de base idéologique, le milliardaire identitaire finance une école non mixte hors contrat, dont les prétentions éducatives sont ouvertement inspirées de l’État français de Vichy. Derrière ces signaux d’alerte, encore et heureusement de faible intensité, se joue une question centrale pour l’avenir, sans que la gauche et les progressistes aient une réponse claire et pertinente.
Si le combat pour la maîtrise de leur corps par les femmes demeure, dans une atmosphère internationale lourde de nouvelles menaces, le legs du malthusianisme, hérité des années 1960, désarme une gauche hésitante au moment d’affronter le problème. Le retournement structurel est, il est vrai, brutal. Le changement de paradigme qu’il implique n’en est que plus vertigineux.
À l’école, les enfants de la fin du XXe siècle, étaient alertés sur le risque de surpopulation mondiale, alors que l’épuisement des ressources disponibles se précisait. Les instituts démographiques projetaient alors des courbes exponentielles. Mexico devait avoisiner les 30 millions d’habitants avant l’an 2000, passant devant la conurbation Tokyoïte. Rien de tel ne s’est produit, ni dans ces deux cas, ni dans tous les autres. Les transitions démographiques ont bien été engagées dans nombre de pays en développement tandis que le vieillissement, prévu dans les pays développés, s’est accéléré, le renouvellement des générations n’y étant plus assuré.
Les dernières données sur l’exception française, l’attestent. Alors que la France – métropole et outremers – se singularisait en compagnie des Britanniques, le taux de mortalité des boomers, nombreux, couplé à la chute du taux de natalité, aboutit pour la première fois depuis 1945 à une inversion des courbes. Un marqueur traditionnel des guerres et grandes crises économiques.
Les conséquences en chaîne en matière de production et de consommation sont des plus évidentes. Le Japon devenu structurellement déflationniste, nous le rappelle. Mais le basculement idéologique et démocratique n’est pas moins cataclysmique. Il y a une vingtaine d’années, le démographe Hervé Le Bras et son compère Emmanuel Todd – indépendamment de sa trajectoire politique par ailleurs – mettaient en évidence le poids des Vieux dans les démocraties européennes, insistant sur la contre-révolution conservatrice susceptible d’en découler.
Comment la gauche démocratique pourrait-elle faire l’impasse ? Emmanuel Macron avait soulevé la question, évoquant maladroitement, le nécessaire « réarmement démographique. » Si la formule aux accents déplacés, était incongrue, la question ne saurait être évacuée d’un revers de manche. Elle interroge la capacité des jeunes actifs à se projeter dans le monde de demain, avec envie et confiance. Elle appelle à cette fin des politiques sociales, migratoires, climatiques, articulées et cohérentes. Une réponse à ce trou noir du dispositif politique permettrait de combattre pied à pied et positivement l’armée innombrable des nationalistes identitaires, dépoussiérant au passage l’univers incantatoire des gauches. D’autant que les politiques natalistes, même bien intentionnées – on pense à celle de Merkel en Allemagne – n’ont la plupart du temps rien donné.
La gauche démocratique, étrangère aux modèles totalitaires et à l’emprise des croyances religieuses, ne pourra rester silencieuse face la soudaineté du retournement. S’il ne s’agit pas d’adopter un pauvre discours nataliste, au nom de considérations économiques, il sera désormais impossible de raconter des sornettes sur l’âge de départ à la retraite comme un droit universel acquis quel qu’en soit le prix à acquitter pour les plus jeunes et la singularité dans l’Union.
Les places laissées vacantes dans l’appareil de production de biens ou de services, ne peuvent conduire qu’à une internationalisation renforcée qu’il vaudrait mieux organiser plutôt que de devoir la subir. L’activité économique du grand âge, ses enjeux comme les normes éthiques qui s’y attachent, vont quitter les marges pour s’imposer dans le débat public et dans la vraie vie. C’est tout cela que recèle le recul du taux de natalité, tombé à 1,66 enfants par femme. Il est urgent de s’en saisir et d’en faire une priorité transversale afin de ne pas laisser le champ libre aux phalanges de l’extrême-droite et à leurs puissantes succursales médiatiques.



