Un capitalisme progressiste
Stiglitz, économiste à l’audience mondiale, réfute les dogmes libéraux et technophiles qui sous-tendent la politique de Donald Trump et développe un contre-programme de progrès. Indispensable.

Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie en 2001, professeur dans les plus grandes universités américaines et ancien économiste en chef de la Banque mondiale, publie ce mois-ci en France Les routes de la liberté [1]. À lire absolument si l’on veut entrevoir où nous conduit le délire ultra libéral de la nouvelle administration américaine. Pour Stiglitz la pensée du nouveau maître de Washington et de ses alliés, extrémistes du libéralisme technophile, nous renvoie à la vieille Société du Mont Pèlerin… c’est à dire à 1947
À l’opposé l’auteur nous dit : « l’objectif d’une société ne doit pas être d’accroître la fortune de quelques-uns, mais d’accroitre le bien-être de tous ». Au niveau national comme international la doxa conservatrice repose sur un égoïsme fondamental. Et destructeur.
Il est fascinant de constater que la religion du libre marché a joué un rôle essentiel dans deux évènements majeurs de l’histoire contemporaine : Poutine a pris le pouvoir dans la Russie post soviétique en réaction au pillage du pays par des oligarques nouveaux riches, un temps libre de toute contrainte ; et Trump s’est imposé aux États-Unis quand l’appareil industriel de nombreux états a été sinistré par la mondialisation. Dans les deux cas la main invisible du marché a débouché sur la mise entre parenthèse de la démocratie.
Stiglitz plaide pour un capitalisme « progressiste » qui intègre non seulement l’intérêt des entreprises privées mais aussi d’autres institutions sans but lucratif (ONG, syndicat, coopératives, fondations, universités). Il recherche par là un équilibre optimal entre le marché, l’État et la société civile. Vaste programme mais réflexion salutaire. En prenant le contre-pied des « routes de la servitude » de Friedrich Hayek (1944) ses « routes de la liberté » dénoncent le capitalisme oligarchique.
Il faudra du temps avant que les idées du prix Nobel fassent contrepoids au nouveau « rêve américain ». Il se pourrait hélas que ce rêve débouche d’abord sur un cauchemar… Nous voilà prévenus. Les adorateurs du veau d’or ont repris leur rengaine : l’État n’est pas la solution mais le problème. Et chez nous le poujadisme de quelques patrons, impressionnés par la vague conservatrice d’outre-Atlantique, reprennent en cœur le refrain. Ils veulent moins de contraintes bureaucratiques et parfois à juste titre. Mais beaucoup d’entre eux , sous le prétexte de lutter contre l’État obèse, rêvent au fond d’eux d’une économie sans règle du jeu, d’une économie sans État.
Liberté j’écris ton nom : celui du renard libre dans le poulailler libre …. Face à eux Stiglitz est un lanceur d’alerte qu’on aurait tort d’ignorer.
[1] Joseph Eugene Stiglitz, Les Routes de la liberté, Éditions Les liens qui libèrent