Un continent noyé sous les plastiques ?

par Jean-Paul de Gaudemar |  publié le 20/12/2024

Plusieurs centaines de millions de tonnes de plastiques sont consommés chaque année dans le monde, dont une bonne partie échoue en Afrique. La Conférence de Busan (Corée du Sud) pour l’élaboration d’un Traité International destiné à réguler leur gestion a été un échec. La faute aux lobbies et aux États pétroliers… 

Ghana, Accra, bidonville d'Agbogbloshie, le 2 mars 2023. Des personnes trient des déchets sur une immense colline faite d'ordures ménagères et de vêtements rejetés par les pays industrialisés. (Photo de Jean-Francois Fort /Hans Lucas via AFP)

L’année 2024 vient d’être déclarée l’année la plus chaude qu’ait connue l’humanité. Pourtant, les négociations internationales de cette année sur le changement climatique et ses causes n’ont abouti à aucun résultat convaincant. À la COP sur la biodiversité ou la COP 29 à Bakou, bien des délégations ont eu le sentiment que l’on revenait en arrière en oubliant le projet de « sortie progressive » des énergies d’origine fossile, acté l’année d’avant à Dubaï. Le dernier exemple en est cette simili-COP récemment tenue à Busan en Corée du Sud et consacrée à la gestion des plastiques produit à 99% par du pétrole et du fléau polluant majeur qu’il représente, notamment pour l’Afrique.

Une fois n’est pas coutume mais le groupe de 68 pays (dont une quinzaine d’Afrique) ayant conduit la réflexion la plus approfondie était mené par le Rwanda, accompagné de la Norvège (pourtant grand producteur de pétrole). Ils ont défendu devant les quelques 170 participants une position très radicale visant une réduction drastique de la production des plastiques, s’appuyant sur un dispositif juridique très contraignant fixant des objectifs précis. 

Selon eux, il y a en effet urgence. Plus de 400 millions de tonnes de plastiques sont consommés chaque année au début des années 2020, mais ce chiffre pourrait tripler d’ici 2060 et atteindre les 1300 millions de tonnes. Plus largement on estime à 8 milliards de tonnes la quantité de déchets plastiques dans le monde depuis 1950. Or les déchets ainsi produits ne sont recyclés que pour une très modeste part (9%).

D’où des dégâts halieutiques et aviaires majeurs mais aussi humains, dans la mesure où les résidus de la décomposition des plastiques sont absorbés par les individus, notamment ceux vivant au plus près des décharges irrégulières. En ce sens, la gestion anarchique des déchets plastiques est devenue un problème sanitaire animal et humain. 

L’Afrique est ainsi mobilisée. De la même manière que pour les gaz à effet de serre, elle est un petit pollueur (environ 4% de la consommation de plastiques). Mais les plastiques ne connaissent guère les frontières tant ils s’envolent ou s’échangent facilement. S’il est difficile d’estimer ce que, globalement, le continent reçoit, le tribut payé par quelques pays est déjà effrayant. Ainsi, en Afrique de l’Ouest, l’emballage et la construction utilisaient en 2021 61 millions de tonnes de plastiques dont 50% étaient rejetés à la mer. Vers la Tunisie, la seule Italie a exporté 242 conteneurs de plastiques. Au Nigéria, chaque année, ce sont environ 300 millions de tonnes de vêtements synthétiques usagés importés. Au Ghana, en 2022, 122 000 tonnes de ces mêmes déchets. Ou encore le Kenya, réceptacle de 150 tonnes de PVC en 2021.

Il devient donc essentiel de faire adopter par la communauté internationale un mécanisme régulateur dans la production des plastiques comme dans la gestion des déchets. 

Si la conférence de Busan a échoué à obtenir pareil traité, c’est parce que les pays demandeurs, dont les Africains, se sont heurtés à une opposition farouche des lobbies et des États gros producteurs de pétrole, tels la Russie, l’Arabie Saoudite ou l’Iran, dans une coalition aux fins économiques et politiques. Pour eux, l’objectif d’une fin de la pollution plastique d’ici 2040 n’est pas envisageable, encore moins s’il s’accompagne d’une contrainte juridique. Cet échec peut-il être surmonté lors de nouveaux rendez-vous ? Rien ne permet aujourd’hui de l’affirmer.

Jean-Paul de Gaudemar

Chronique Société - Education- Afrique