Un espoir pour la gauche
L’arrivée du très droitier Bruno Retailleau place Beauvau inquiète une partie des macronistes. Et si la droitisation de l’équipe Barnier fracturait le bloc central ?
Ce n’est encore qu’une petite musique mais elle se fait entendre en sourdine. Un jour, c’est le Figaro qui voit de nouveau Bernard Cazeneuve à Matignon dans les prochains mois. Un autre, c’est le solide éditorialiste de France Inter, Patrick Cohen, qui décrit dans les détails « la dépossession démocratique » voire « la trahison » que représente pour les Français la composition du gouvernement alors que « personne n’a voté pour avoir Michel Barnier à Matignon ». Et d’évoquer une « majorité alternative » à l’Assemblée Nationale où « seule la gauche peut tenter de bâtir un rassemblement plus large ».
Comment ? En détachant du bloc central une centaine de députés, des macronistes de gauche en rupture avec la frange très droitière de l’actuelle majorité relative, incarnée par le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau. Cette nouvelle alliance compterait alors autant d’ouailles que la coalition actuelle : avec ses 193 députés NFP (ou 121 sans LFI), son socle est bien plus large que celui des LR, qui comptent seulement 47 députés.
Olivier Faure soi-même, qui écarte avec hauteur toute idée d’alliance avec la macronie, de droite ou de gauche, l’évoque implicitement. Bruno Retailleau propose de réformer l’Aide Médicale d’État (AME) pour la réduire aux cas d’urgence ? Faure se récrie : « honteuse, cette mesure démagogique d’extrême-droite devrait faire se lever tous les macronistes de gauche. Ou pas ». Ce qui revient à admettre enfin qu’il y a aussi une gauche au sein de la macronie. Si c’est lui qui le dit ….
Qui sont-ils donc, ces macronistes de gauche susceptibles de quitter la majorité de droite pour rentrer au bercail ? Difficile d’en trouver 100 (sur les 166 que compte le bloc central), mais pas impossible. Seul Edouard Philippe, avec ses 31 députés Horizons, affiche un soutien sans faille à Michel Barnier. Pour les 135 autres, rien n’est figé. On sait que l’ambiance est à la révolte chez les 36 députés du Modem dont 80 % ont voté en interne contre la nomination de Bruno Retailleau place Beauvau. Il a fallu que le grand sage Jean-Louis Bourlanges les ramène à la raison en les exhortant à ne pas ajouter du désordre au désordre pour qu’ils se rallient.
Déjà nombreux à voter contre la loi sur l’immigration, ils ont concédé un fragile consentement, si bien qu’ils peuvent se désolidariser à la moindre occasion. Quant aux 99 députés Ensemble, noyau dur de la macronie, leur position est incertaine. Certes, les plus à gauche sont les moins nombreux et, pami les autres, beaucoup ont oublié d’où ils venaient. Mais attention ! A force de les bousculer, Retailleau peut les faire basculer. On se souvient que l’ex-socialiste Elisabeth Borne, pourtant jugée à droite pendant la réforme des retraites, avait fait de l’AME un point dur de sa politique et le cœur de sa bataille gagnée contre Gérald Darmanin.
Le ton conquérant et droitier utilisé par Bruno Retailleau depuis sa nomination place Beauvau peut à tout instant enflammer l’Assemblée nationale, surtout si elle se retrouve dépossédée de certains de ses textes comme celui qui traite des obligations de quitter le territoire français, les fameuses OQTF. Le ministre de l’Intérieur veut aller chercher une nouvelle mouture de la même mesure au Sénat, où ses dispositions ont été nettement durcies. Jusqu’à faire basculer la coalition vers la gauche ? On n’en est pas là. Mais pour la gauche, si elle s’ouvre à une alliance, rien n’est perdu.